La Bouillonnante 2016 est depuis la quatrième année maintenant la première grande aventure de l’année. Pour 2016, j’ai décidé de m’aligner sur le grand parcours (72km et 3300D+) pour un périple à travers la vallée de la Semois et ses denses forêts. J’ai voulu faire de cet article une véritable immersion dans la course avec de nombreuses photographies, vidéos, …
Dans la nuit noire
4h45, la fascinante forteresse de Godefroy de Bouillon s’impose aux coureurs transis de froid par la pluie et le vent glacial venu du Nord. Silencieusement, la horde de frontales passe le pont-levis et s’enfonce dans le cœur de la forteresse. Elle dévoile subrepticement les visages pensifs des héros du jour. Les pierres millénaires du château-fort écrasent de leur expérience séculaire les silhouettes attendant de s’élancer dans la nuit noire de mystères et d’aventures.
Tel un avertissement à l’âpreté des vallées de la Semois, des percussions résonnent dans la cour d’honneur. Le souffle et le grésil les transforment en grognements de sombres créatures forestières, prêtes à happer le coureur solitaire. Le coup de feu de départ me ramène vite à la réalité. Les grognements ont fait place à “O Fortuna”. Fortune, fortune, il en faudra à tous ces chevaliers s’élançant dans l’inconnu.
Le 24 avril de l’an de grâce 2016, des centaines d’hommes et de femmes partent pour une quête inoubliable ; véritable croisade contre ses démons intérieurs. Le château de Godefroy sera notre Alpha et notre Omega…
Des sombres forêts
Groggy, fatigués et engourdis par le froid, les coureurs s’extirpent de la forteresse pour se jeter dans la nuit. Directement, nous sommes présentés à celle qui va se jouer de nous pendant 74km, celle que nous serons tantôt contents de retrouver tantôt heureux de quitter : la mystérieuse Semois. Le long de la rivière, les coureurs s’égrènent. Elle reflète le flux des frontales. Ces lueurs diaphanes ressemblent à des milliers de feux follets dansant sur l’eau.
Dans le lointain, comme la manifestation d’une obscure sorcellerie, apparaît un zigzag de lumière sur les contreforts de la première difficulté. C’est à la fois magnifiquement féerique et terriblement effrayant. La lumière perce la nuit mais les ténèbres la noient dans sa masse sombre.
The Night is dark and full of terrors… Melissandre (Game of throne)
Je ne peux m’empêcher de penser à ces convois des temps anciens qui traversaient des contrées inhospitalières sous la pluie et dans le vent. Le froid n’est pas un frein pour nous. Ces premiers kilomètres et les premiers mètres de dénivelé nous ont suffisamment échauffés pour affronter n’importe quelle météo.
Sous la pluie
Il n’y a rien de l’ordre de la torture quand on court sous la pluie mais plutôt une forme de satisfaction de pouvoir profiter d’une météo que peu de personnes apprécient ; la même satisfaction que le vieil Ardennais qui savoure la première bouffée d’un tabac de la Semois bien corsé que seul les caractères bien trempés peuvent savourer…
Ce départ nocturne était une première pour moi et un coup de cœur immédiat. Il y a dans cette atmosphère matinale un subtile mélange de plénitude et de satisfaction. Nos sens sont amoindris ; on voit moins, on entend moins, on ressent moins… Pourtant, ces mêmes sensations sont quintuplées. L’on perçoit, la brume s’abattre sur la canopée, le vent s’engouffrer dans la forêt, le craquement des arbres. Le silence devient assourdissant !
La majesté des vallées
Aurore
Je longeais la Semois quand le jour s’est levé. La scansion de nos pas semblait donner le rythme au réveil de la Nature. Le ciel, gris, plombé, décrochait des nuages sur les contre-forts de la vallée. La rivière perdue dans cette heure bleue prenait des airs de tableaux romantiques et brumeux. Même sous la pluie, un réveil dans la Nature reste le plus beau des spectacles.
Le parcours était assez roulant jusque là. Pourtant, j’ai suivi les conseils de nombreux coureurs à savoir de partir bien en deçà de son rythme habituel. A posteriori, j’aurais peut-être pu pousser un peu plus dans cette partie. Cela me permet d’arriver frais à Poupehan. La journée peut désormais commencer. Nouveau coup de cul avant un long, très long faux plat descendant, je déroule alors à bon rythme.
Ravitaillement
On laisse les majestueuses Crêtes de Frahan pour plus tard et je déboule assez rapidement au premier ravitaillement à Frahan. J’en profite car je sais que 43 km plus loin, au même endroit, je serai beaucoup moins en état pour apprécier quoique ce soit. 17km, je décide de sortir les bâtons. Je ne les quitterai plus jusqu’à l’arrivée…
Je mange régulièrement. Je me suis forcé depuis le départ. C’est cela qui me faisait défaut lors des courses “longues” que j’ai déjà courues. Je ne mange et surtout je ne bois pas assez. Du coup, la sentence est inéluctable : coup de mou et impossible de relancer. Dans la même optique, j’ai définitivement abandonné les produits de nutrition sportive. Au programme de cette longue sortie, barres de graines au miel, noix salées et bananes ! Et contrairement au maître d’armes dans Kaamelott, je n’en ai pas honte :
https://www.youtube.com/watch?v=Ujm73PaYj_I
Au dessus des vallées
Après Frahan, les choses commencent sérieusement. On prend de l’altitude et on peut commencer à contempler à travers les branches la beauté des vallées ardennaises. Les descentes techniques font également leur apparition. Après 4 éditions courues, je ne sais toujours pas vous affirmer si ce sont les côtes ou les descentes techniques qui font le plus mal ? Vous allez me dire que cela importe peu. C’est vrai qu’à un certain point de la course, montées, descentes, plat, tout fait mal !
Sur ce point, la descente entre les rochers nous menant à Alle-sur-Semois est un de mes coups de cœur. On entraperçoit la ville à travers les arbres. Les couleurs de la forêt contrastaient avec le ciel bouché et la brume s’égrenant sur les sommets ajoutait la touche dramatique. Au pied, je savais qu’on s’approchait du fameux mur de 160D+ dont je vous avait parlé dans mon compte-rendu du Trail de la Sainte Agathe. C’était sans compter sur une autre petite merveille de D+ à Alle où se retrouve réuni la même verticalité et la même longueur.
Langueur forestière
Le premier ravitaillement solide est heureusement présent entre ses deux murs. Ce petit arrêt est salvateur, ce sera le dernier avant… 25 kilomètres. 25 kilomètres d’autonomie complète, loin de tout et de tous. Je fais le plein d’eau, de bananes et de Tucs car la suite s’annonce mentalement difficile.
Ardenne namuroise
Désormais, le peloton des traileurs ayant quitté le château à 5h est bien étiré et les moments de solitude sont de plus en plus importants. Le parcours est toujours aussi panoramique. Cette partie de la vallée de la Semois est moins connue et c’est un tort. Encore plus sauvage, cette partie de l’Ardenne namuroise mérite vraiment d’être découverte. J’en avais été convaincu deux semaines plutôt au Trail de Laforêt mais cela confirme mon ressenti. Je ne manquerai d’ailleurs pas d’y revenir très bientôt pour vous en parler plus en détail.
Je pourrais passer des heures à vous décrire ces paysages. Pourtant les mots n’atteindront jamais l’intensité du moment. Les longues distances imposent une forme de contemplation béate. Chaque paysage, chaque panorama, chaque bruissement de feuilles devient une source de satisfaction ; comme si ces différents points de vue devenaient les moteurs-mêmes de notre aventure.
A Membre, je passe le cap des 5heures de courses pour 35km. La fatigue mentale pointe le bout de son nez en même temps que l’hypersensibilité. Mes parents et ma compagne me font la surprise de venir m’encourager. Je ne peux m’empêcher d’essuyer une larme. Sur le moment, cette émotion est touchante mais à mes yeux, elle ne l’est pas du tout. Je sais qu’elle est synonyme d’un début d’hypoglycémie.
Premier passage à vide
La côte suivante me force d’ailleurs à prêter mes flancs à un passage à vide ! Les jambes ne répondaient déjà plus très bien depuis quelques kilomètres mais là j’en ai la confirmation. Je m’hydrate et mange autant que possible. De longues minutes passent et progressivement les jambes reprennent du poil de la bête. Je peux à nouveau courir plus facilement. Les chemins redeviennent également plus roulants. J’en profite donc pour “allonger” dans cette solitude forestière.
Je suis content d’avoir rebondi car cette section forestière peut vite miner le mental. Les chemins se ressemblent, les montées comme les descentes également, il y a de quoi devenir dingue. Surtout qu’avec plus de 40km et 1800D+, l’effort commence à se faire sentir. D’un autre côté, mes réserves d’eau et de nourriture sont bien entamées. Au 40e kilomètre, je tombe d’ailleurs à court d’eau ! Je ne vous dis pas le stress quand les jambes ont commencé à peiner à nouveau.
Le Mur, les échelles et le Tombeau
Frahan
Heureusement, le ravitaillement n’est pas loin. Au 50e kilomètre, à sec (au sens propre comme au figuré), on m’annonce que le ravitaillement est quelques centaines de mètres plus loin. J’ai du mal à y croire. Ensuite, je l’aperçois, brouillé comme un mirage en plein désert. Pourtant il est bien là, je me pose et m’alimente correctement. Je regarde ma montre. Je suis même en avance sur mes prévisions de temps. C’est parfait. Je repars assez rapidement pour ne pas prendre froid. A partir de maintenant, nous évoluons en terrain connu.
Quelques longs sentiers relativement roulants me permettent de maintenir un rythme. Après quoi, le parcours s’attaque au méandre de la Semois menant à Frahan. Ce passage, magnifique, à flanc de coteaux reste toujours un excellent souvenir. Même si après 57 kilomètres les jambes commencent à être maladroites, on ne peut pas rester insensible à ces passages. Le soleil décide de faire (enfin) son apparition et magnifie le paysage. La pluie ne s’abattra plus sur nos têtes ! Quelle bénédiction que d’être baigner par cette frêle chaleur ! Après le passage sur les Crêtes, c’est Frahan et son célèbre mur qui se dévoilent.
Frahan possède le charme d’antan des villages du bout du monde. Perdu au fond d’un des méandres de la Semois, Frahan est un cul-de-sac. Autrefois prospère et reconnu dans la culture du tabac, le village est le sujet principal d’un des plus célèbres et des plus beaux panoramas de Belgique.
Le Mur
Après un arrêt éclair au dernier ravitaillement complet, les coureurs s’attaquent à l’apothéose de la course. Les 13 derniers kilomètres sont certes parmi les plus beaux mais aussi les plus durs de la course.“The WALL”, un mur de 160 D+ droit dans le pentu, fixent directement les règles ! Je peux vous assurer qu’après 60km cette côte fait mal, très mal !
Les échelles
A peine a-t-on digéré le dénivelé qu’il faut se concentrer sur le ludique mais non moins dangereux parcours des échelles. Le chemin, en single track, est extrêmement technique. C’est d’ailleurs dans cet exercice périlleux que je dépasse les véritables héros de cette aventure : l’équipe de la Joélette. En pleine manœuvre entre les rochers, on ne peut s’empêcher de les applaudir.
Cela fait quatre ans que je parcours ces derniers kilomètres. Je ne les ai jamais trouvés faciles. Ici, encore moins ! Je suis en train de me brûler les ailes. Chaque mètre de dénivelé aussi bien positif que négatif est une torture. Je perds d’ailleurs énormément de temps dans cette portion. Cette longue agonie durera jusqu’au Tombeau du Géant. Cela sera mon deuxième passage à vide de la course.
Le Tombeau, mon tombeau
Heureusement, fini la solitude, je m’accroche aux coureurs en ligne de mire. Au point de vue du Tombeau du Géant, je n’arrive même plus à profiter de ce majestueux paysage.
Vierge de toute présence humaine, ce paysage à 180° devient pourtant avec peu d’imagination le théâtre de folles aventures. L’esprit vagabonde, les traileurs deviennent les chevaliers en quête d’une arrivée salvatrice au château de Bouillon. Cachés derrière un rocher, des Rôdeurs attendent le moment pour tendre un guet-apens aux passants fatigués.
On me tend une pâte de fruit. Je suis réticent à l’idée de la prendre. Les haut-le-cœurs m’assaillent depuis un petit temps. Je goute un petit bout, minuscule. Le goût est celui de la fraise chimique, acidulé, trop sucré… En temps normal, je n’aurais pas mangé cette confiserie. Pourtant ici, après plus de 10 heures d’effort, cela me goûte particulièrement. Je n’en fais qu’une bouchée et me remet directement en route.
La descente vers la Semois est douloureuse. Les cuisses deviennent de plus en plus raides. L’idée même de traverser cette rivière par 8° me glace le sang. Arrivé sur les berges, un bénévole me tend la main pour m’aider à descendre dans le lit de la rivière. C’est l’électrochoc. L’eau est glacée. À peine ai-je attrapé la corde qu’un coureur trébuche au milieu de la Semois et se retrouve entièrement immergé. Il faut rester concentrer. Le fond de la rivière est jonchée de grosses pierres glissantes. J’ai de l’eau jusqu’à l’entre-jambe, certains jusqu’à la taille. J’accélère la cadence pour éviter de prendre froid.
De retour sur la terre ferme, ce ne sont plus des jambes mais des barres. Je ne sens plus rien. Tous mes muscles sont en léthargie ! J’en profite pour me remettre à courir. Tout est anesthésié et je peux reprendre un bon petit rythme jusqu’à la bifurcation nous menant plus haut sur la crête. Dans la descente, je me fais dépasser par un équipier de MyRun. J’en profite pour “prendre sa roue”. Le gaillard déboule dans la descente jusqu’au deuxième gué. Je lui colle au train !
Vers le Belvédère et l’au-delà !
Je passe plus rapidement ce 2e gué. 3Km ! C’est bientôt la fin. Encore une bonne côte jusqu’au Belvédère et puis c’est la descente finale sur le château et la montée des rois ! La pâte de fruit fait un sacré effet car je récupère toute mon énergie. Direct après le dernier passage technique, je me remets à courir et à dépasser. J’en passe une bonne quinzaine.
Le belvédère est en vue. Je me force à débouler dans la descente. En bas, on traverse le pont séculaire. Le château est là ; toujours aussi majestueux, toujours aussi éblouissant de le revoir après des heures dans les bois ! La fierté de l’accomplissement prend le dessus et force les jambes à augmenter le rythme. Tout est douloureux mais on ne sent plus rien. On monte les marches pour atteindre l’esplanade du châteaux. Les gens nous félicitent. C’est le meilleur dopant. Je cours dans la côte et bras de dessus, bras dessous, nous passons cette mythique ligne d’arrivée entre MyRunners !
C’est ainsi qu’après 11h45 d’effort, 74km et 3600 D+ prend fin cette première grosse aventure de 2016, la plus grande en distance…
Aubergiste !
Des idées pour profiter de son après-course ? C’est ici que ça se passe !
Je ne peux que vous conseiller le Gîte & Chambres d’hôte tenu par Hans, un pur ardennais amoureux de sa région. Je regrette de n’y avoir dormi que quelques heures parce qu’entre bons plans et activités (Segway, vélo électrique,…) sans oublier les éléments indispensables à une bonne récupération (bières, jacuzzi, hammam,…). J’ai déjà prévu d’y retourner !
Bien manger ?
Après la Bouillonnante, j’ai pris l’habitude d’aller manger dans un charmant bistrot du terroir répondant au doux nom de Vieille Ardenne. Vous pourrez y savourer des spécialités ardennaises et bien évident de succulentes bières de terroir. Après avoir passé une journée dans les bois, manger à la Vieille Ardenne, c’est prolonger l’expérience forestière jusque dans l’assiette.
Pour les amoureux des produits de la mer ou… d’un bon steak, ne manquez pas non plus le Roy de la Moule au pied du château. Selon la légende, c’est dans ce restaurant que réside le secret de la 3e place de Papy Brossard sur le 72km. Un secret, bien évidemment jalousement gardé par l’intéressé… ou pas !
Bouillonnante 2016 : Photographies
Vous aurez remarqué que cet article a été agrémenté des somptueuses photographies de Geoffrey Meuli, photographe du Team Salomon Belgique. Geoffrey joue avec la lumière pour sublimer nos magnifiques courses belges. N’hésitez pas à rejoindre sa page Facebook.
Super récit. J’ai déjà hâte d’être l’année prochaine afin de pouvoir enfin prendre part à cette grande messe.
Merci pour l’histoire et bravo pour la course. Lio
Merci beaucoup Lionel 😉
Super histoire. Quelle aventure !
Merci Julien 😉 Toujours à Bouillon !
Bonjour à toi, coureur fou! Quand je lis ton récit, je ne peux m’empêcher de penser : mais il faut être fou! Excuse-moi… C’est un réel plaisir de te lire même si on y découvre et ressent un peu la douleur que tu as dû surmonter; mais pour avoir déjà moi-même ressenti l’impression d’être folle dans l’une ou l’autre course, je t’avoue comprendre ce que tu écris. Je te tire mon chapeau pour ta performance et pour ton récit! Merci de l’avoir partagé! J’espère que tu as bien récupéré. Pensées sportives…
Merci beaucoup à toi coureuse folle 😉 Merci de me lire, tes paroles me touchent ! A très vite sur les sentiers 😉
lBeau récit de course, je mis suis reconnu. En plus d’être un gars sympa, tu es un bon conteur.
Merci Lulu 😉
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