Ålfotbreen et le Gjegnalundsbreen sont les glaciers les plus occidentaux de Norvège. C’est aussi l’une des régions les plus pluvieuses d’Europe. En septembre 2023, avec une bande d’amis, nous décidons de passer une nuit en cabane au coeur de cette région. Entre pluie diluvienne et déconvenue physique, cette cabane s’est méritée, son environnement encore plus. Venez, je vous emmène pour une nouvelle aventure au coeur de la nature sauvage norvégienne.
La vacuité d’une cabane en bordure d’Ålfotbreen
Parfois, on rentre en cabane sans savoir pourquoi. Pour se perdre ? Pour se retrouver ? Ici, c’est une évidence. Dans nos vies surchargées, mes camarades Fred, Gaëtan, Julian et moi-même avons trouvé une forme de sérénité à nous arracher à la civilisation pour nous retrouver dans cette cabane en bordure du glacier Ålfotbreen. Ce fut un moment déconnecté, un moment de contemplation sans nous faire oublier que tout se mérite en ce bas monde. Cette cabane faisait écho à nos fragilités respectives. Les glaciers s’imposaient et nous écrasaient avec une puissance absolue. Durant la nuit, elle fut notre ultime rempart face aux éléments.
Les cabanes fusionnent avec leurs occupants. Ici, elle était devenue nos coeurs de bois craquant face à l’assaut des vents, tourments, changeant parfois hurlant.
Alors pour ne pas perdre le Nord et risquer de glisser à l’Ouest, on espère que le lendemain sera serein et non éteint. Pourtant, lorsque gris, bouché, presque désespéré, le matin se présenta. Il fallut scruter, espérer et finalement contempler un simple fait : qu’importe la perspective et l’horizon, il y aura toujours une éclaircie permettant de se perdre ou de s’élever mais toujours se retrouver. Finalement une cabane, c’est inutile aux yeux d’une société futile mais, pour les âmes suffocantes, claudiquantes mais toujours errantes, elle sera toujours le pilier essentiel d’une vie, voiles au vent, toujours vers l’avant d’une future aventure…
Pour une lecture encore plus immersive de cet article, je te conseille d’écouter ceci :
Dormir dans une cabane au coeur des glaciers norvégiens
Une ascension torrentielle vers Ålfotbreen
Ce 11 septembre 2023, les pluies torrentielles qui s’abattaient sur la Norvège ne nous laissaient pas beaucoup de perspectives. J’avais pointé une cabane perdue au milieu des montagnes. Il était question d’y passer la nuit. Pour l’atteindre, il y avait environ 7km et 1400m de D+. « Extrême » serait un aphorisme, a fortiori avec les conditions météo. Pourtant est-ce la soif de découverte, l’inconscience ou l’optimisme, nous décidons finalement de nous lancer dans l’ascension. À corps perdus ou à têtes perdues, nous entamons les premiers lacets en fin d’après-midi. Il est déjà trop tard mais les pluies nous laissent un moment de répit. Profitons-en !
La météo, typiquement norvégienne, transforme le sentier en torrent, les roches en toboggan et la brume en mur opaque.
Nous suivons aveuglément les fanons servant de balisage. Après environ 45 minutes, le sentier se perd dans une face abrupte et végétale. La petite compagnie que nous formons se regarde et s’interroge sur une évidence : le chemin va droit dans la pente. Direct ou brutal, ce sentier est aussi intransigeant que la mentalité norvégienne. J’aurais sans doute dû éviter cette pensée, la pluie revient. La pente est tellement raide que nous devons poser les mains, nous agripper, nous extirper de cette végétation dégoulinante. Il y a déjà bien longtemps que nos pieds baignent dans une gadoue permanente. Gueule dans le brouillard, pieds dans la tourbe, nos carcasses subissent les éléments. Nous grimpons, engoncés dans nos capuches en souffrant silencieusement.
Une errance brumeuse au coeur de Ålfotbreen
Le jour décline déjà alors que nous en finissons avec cette ascension le nez dans la mousse. Devant nous, un paysage de roche, de brume et d’obscurité. Nous sommes à peine à la moitié de notre objectif. Épuisé par un sac trop lourd, une charge mentale trop étouffante, je traîne littéralement ma carcasse dans le brouillard. Mon errance possédait un parfum d’éternité. La cabane devenait une chimère, une Atlantide perdue dans un océan de brume. J’ai eu, un instant, le goût étrange qu’elle ne resterait qu’un rêve vaguement imaginé.
Rincés par la pluie, balayés par le vent et perdus dans la brume, nous étions quatre silhouettes, quatre rumeurs que personne n’attendait. Nous étions les fantômes de notre propre aventure.
À cet instant, un important névé apparaît. Mon esprit reprend les rênes. Je vérifie ma montre. La cabane doit être devant nous. Cependant, il n’y a rien d’autre qu’un rideau opaque de brume. Puis, un coup de vent, la couche nuageuse se lève un instant. Au loin sur la crête, elle apparaît. Enfin ! Nous nous pressons à avaler les derniers mètres tandis que l’obscurité nous avale petit à petit. Malgré la brume, je devine les glaciers, les sommets et cette petite cabane perchée en bordure de falaise. La Norvège me surprendra toujours. Malgré la pluie, malgré la difficulté, malgré la brume, ces paysages aussi étranges que fascinants restent et resteront époustouflants.
La nuit dans la cabane de Gjegnabu
La nuit nous ayant enveloppés dans son linceul d’ébène, nous rentrons dans la cabane comme le feraient les ermites d’antan. Nous sommes les seuls occupants de la cabane qui peut accueillir une dizaine de personnes. Là haut, au cœur d’un royaume de glace, cette petite cabane fait désormais office d’ultime rempart de la civilisation face à la nature sauvage. Directement, je retrouve cette simplicité que j’apprécie tant. Une cabane ne sera jamais synonyme de superflu. Elle répond finalement à nos besoins primaires : nous protéger et nous garder au chaud.
Ce soir-là, nous sommes bercés par un sentiment étrange. La météo nous a mis à terre et rendu aveugles. La vacuité de cette aventure nous gifle en plein visage : et si nous avions enduré tout cela, pour rien ?
Tandis que les éléments se déchaînent à l’extérieur, nous nous affairons à lancer le feu. Nous sommes tous trempés et frigorifiés. Il faut dire que la pluie et le vent ne font jamais bon ménage, nos Gore-Tex n’ont pas fait long feu. Chacune de nos actions se fait en silence. Religieusement, nous faisons sécher nos affaires, nous chauffons l’eau pour nos lyophilisés et avalons notre pitance. Les éléments nous ont terrassés. Les mots peinent à sortir. Nous allons rapidement au lit en espérant pouvoir observer l’aurore. Cependant, malgré un réveil à 4h du matin, pas de soleil, pas de lumière que gris opaque de la brume.
Ålfotbreen : Un paysage de glace et de vent
Le désespoir s’affirme. Alors, nous buvons du thé dans l’attente d’un miracle. La cabane est toujours dans un épais manteau de brouillard. Nous nous faisons à l’idée d’un statu quo météo. Pourtant, alors que nous commencions à rassembler nos affaires, le vent se lève, le ciel se déchire et le soleil apparaît. Enfin ! Nous sortons comme des enfants le jour de Noël pour prendre la mesure de l’environnement. La cabane devient un esquif sur une mer de roches et de glaces. Les nuages, menaçants, rendent le moment unique, précieux et grandiose. Personne ne peut renier le divin face à tant de beauté.
La cabane perchée sur son rocher est entourée d’une myriade de glaciers dont les textures se révèlent sous les nuages menaçants. Tout est immense, hors échelle, dantesque.
À ce moment précis, nous avons été pris d’un sentiment étrange. Nous avions progressé la veille le nez dans la mousse et la tête encapuchonnée comme des vagabonds. Nous avions encaissé l’une des randonnées les plus exigeantes de notre vie. Et là au petit matin, la Nature nous offrait un spectacle à la hauteur de notre souffrance. Finalement, la pugnacité se révèle lorsque, contre vents et marées, vous maintenez le cap. Nous aurions pu faire demi-tour dès les premières gouttes, nous aurions pu repartir au petit matin mais, au fond de nous, nous y avons cru et la Nature nous a donné le plus beau des cadeaux.
S’arracher à la solitude de la cabane Gjegnabu
Il y a dans le hiatus de l’errance, des moments de grâce béate, qui structurent davantage l’existence que la monotonie du quotidien. Ces cabanes offrent cette belle dualité entre l’aventure induite par sa quête et le calme qui y est recherché. C’est le caractère éphémère qui rend ces moments si précieux. L’aventure se fonde dans cette succession d’instants fugaces. Toute contemplation prend alors fin dans la nécessité du mouvement. Il faut lever les amarres, quitter le port et continuer notre navigation.
Nous faisons nos sacs, donnons un coup de balai et tournons les talons à cette cabane Gjegnabu, sise majestueusement au coeur du glacier d’Ålfotbreen. Il y a toujours ce sentiment étrange de quitter un lieu étrangement familier alors que vous n’y avez passé qu’une nuit. C’est, je pense, la preuve irréfutable que ces cabanes sont plus que des abris, elles sont des catharsis.
Rapidement, elle n’est plus qu’un minuscule point dans le paysage. Elle disparaît avec nos souvenirs. Déjà, le brouillard revient comme pour définitivement tirer le voile sur cette première aventure. Nous descendons, le même sentier abrupt que la veille, sous la pluie à nouveau, . Une fois dans la vallée, la météo nous offrira une parenthèse de quelques jours qui nous permettront de continuer nos aventures : bivouaquer en packraft jusqu’au Jostedalsbreen et observer les boeufs musqués dans le Døvrefjell.
Matériel de cette aventure au coeur d’Ålfotbreen
Le matériel est toujours une affaire de compromis. Il répond à nos attentes mais dépendra des besoins de chacun. La liste que vous trouverez ici est, à mon sens, un bon point de départ si vous envisagez de réaliser cette microaventure au coeur d’Ålfotbreen et jusqu’à la cabane Gjegnabu.
Randonnée
- Chaussures : Hoka One One Sky Kaha
- Pantalon : Fjällraven Vidda Pro
- Chaussettes : Smartwool Hike Light Cushion
- Bonnet : Fjällraven Byron
- Polaire : Karpos Vertice
- Sous-couche chaude : Icebreaker Oasis LS Crewe
- Surpantalon imperméable : Cimalp Advanced
- Veste imperméable : Cimalp Advanced
- Veste isolante : Fjällraven Skogsö padded
- Sac-à-dos : Osprey Aether 100l
Nuit en cabane
- Liner : Sea To Summit Extreme Reactor
- Réchaud : Jetboil Flash
- Lyophilisés : Lyophilisé & Co
Parcours – Dormir dans une cabane au coeur d’Ålfotbreen
La cabane dans laquelle s’appelle Gjegnabu. Attention, comme beaucoup de cabanes en Norvège, elle n’est pas accessible gratuitement. Vous devez réserver votre nuitée via le site de Den Norske Turistforening, l’équivalent de notre Club Alpin. Les réservations se font via ce site uniquement.
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PHOTOS AERIENNES / IGN
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