Au coeur des Alpes de Lyngen, au nord du cercle polaire, git un royaume de roches et de glaces. Pour s’imprégner du lieu, quoi de mieux que d’y passer la nuit ? Je vous emmène pour un bivouac au pied du glacier de Steindalen en Norvège du Nord, je vous emmène aussi pour un voyage au coeur des émotions que cette vallée ont suscitées en moi.
Les Alpes de Lyngen
Les Alpes de Lyngen sont un des nombreux joyau du comté de Troms. Situé au Nord-Est de Tromsø, cette péninsule, entièrement constituée de montagnes, est depuis longtemps le paradis des amateurs de ski de randonnée. Après avoir passé une semaine coupé du monde en Laponie finlandaise et une journée sous la pluie à Tromsø, il était déjà plus que temps de retourner en pleine nature. Les Alpes de Lyngen seraient notre nouveau terrain de jeu, le glacier de Steindalen notre objectif.
Au coeur de ce massif, git le glacier de Steindalen. Et, sur un coup de tête, nous décidâmes d’aller bivouaquer à son pied.
Situées à quelques heures de Tromsø, ces montagnes offrent une atmosphère totalement différente. En effet, dès que vous arrivez sur la péninsule, vous êtes aspiré en un instant dans une atmosphère de haute montagne. Entourés par des sommets acérés, effilés et grandioses, tout n’est que magnificence glacée et dorée en ce mois de septembre. Les arbres sont en feu et les sommets givrés griffent le ciel. Vous avez l’impression d’être hors du monde et du temps. Pourtant, vous n’êtes qu’à 1500m d’altitude et à quelques kilomètres seulement du fjord.
Pour une lecture encore plus immersive de cet article, je vous conseille d’écouter ceci :
Bivouac au pied du glacier de Steindalen
Montée sous la pluie
Après avoir contemplé un magnifique lac bleu lové au coeur des montagnes le matin, nous commençons l’ascension vers le glacier de Steindalen en fin d’après-midi. L’ascension n’est ni longue ni difficile. Il faut compter un peu plus de 7km et 500m de D+ mais le poids du sac et surtout la fatigue de notre expédition finlandaise se font ressentir. En effet, mon tendon d’Achille a pas mal souffert en Finlande et chaque pas est une torture. La douleur n’est qu’une information, je la zappe même si chaque rochers ou cailloux tentent de me la rappeler.
Nous montons le long d’un torrent en provenance direct du glacier que nous envisageons aujourd’hui. Malgré un ciel de plus en plus menaçant, les couleurs des bouleaux semblent être imprégnées de leur propre lumière. Ce trésor automnale est tout simplement époustouflant. Avec mon tendon, je ralentis clairement la cadence du trio. J’essaie de ne pas trop prendre de photos pour ne pas les ralentir. D’un autre côté, ne pas immortaliser un tel spectacle serait une telle erreur !
Moraine en vue
La première partie de l’ascension, assez raide, laisse place à une large vallée en seconde partie. La jonction entre les deux se fait au niveau d’une cabane en libre accès. À Tromsø, on a passé deux nuits en dur. Vous pensez bien qu’on l’a regardé avec une forme de répulsion amusée. Nous, une cabane ? Sérieusement ? Non ! Nous, on va se geler les miches blottis contre les glaces… C’était décidé. Il en sera ainsi.
Ce mauvais temps et ces couleurs automnales au crépuscule plongeaient la vallée dans une ambiance de fin du monde. Non pas celle terrible et triste que la tradition judéo-chrétienne tente de nous imposer. Non. Plutôt celle propre au lieu, Celle du Ragnarök, terrible et flamboyant.
Dans cet opéra crépusculaire cloturant cette journée au coeur des montagnes de l’arctique, j’imagine la voix d’Einar Selvik de Wardruna résonner dans la montagne puis se perdre dans le mugissement du vent. D’autres y verront plutôt les “Rocheuses” chères à Jeremiah Johnson. Quoiqu’il en soit, ces montagnes, cette vallée, transcendent l’imaginaire…
Bivouac au pied glacier de Steindalen
Une gigantesque moraine barre le fond de la vallée. Derrière cet amas de roches sombres se trouvent le glacier et notre lieu de bivouac. La nuit est à nos trousses. Il ne faut pas trainer. L’ascension devient une torture, mes tendons m’envoient des décharges électriques à chaque pas. Le spectacle est total. Je ne m’expliquerai jamais cette attirance pour les ambiances glacées isolées et sombres. Peut-être est-ce cette quête d’un absolu, celui d’une nature belle, intraitable mais juste ? Oui, il y a peut-être de cela…
Puis au loin dans un mélange de brume, de glace et d’ombres, la langue glaciaire apparaît comme le linceul du crépuscule lui-même.
Nous arrivons sur cette plage glaciaire comme si nous étions les premiers hommes. Il y a une forme de pureté dans ce théâtre de roche et de glace. Tout semble suspendu aux limbes. Comme si nos codes sociaux n’avaient plus cours ici, seul la sauvagerie impose ses règles. Magistrale Norvège arctique, je crois que tu me possèdes désormais. Nous montons les tentes et faisons rapidement chauffer nos lyophilisés à la lueur des frontales. Le froid est tombé aussi rapidement que la nuit. Il gèle déjà et cela préfigure une nuit fraîche. La montre indiquera un petit -6°…
Réveil glacé
Le lendemain matin, c’est dans un crissement glacé que je m’extirpe de ma tente gelée. L’air est vif et piquant. Les premières inspirations sont pourtant salvatrices et rompent le silence de la nuit. Un souffle, un vie, un nouveau jour. Un frisson me parcourt l’échine. Ce n’est pas le froid. Non, c’est bien plus que cela. C’est le plaisir d’ouvrir les yeux sur tant de beautés. Là au coeur des montagnes norvégiennes, je touche à ce qui se rapproche de près au bonheur.
Lever sa kuksa, célébrer le jour, savourer ces montagnes car c’est ici que mon coeur bat !
Depuis quelques années, il y a un petit rituel immuable auquel je me soumets : celui d’un café dans ma kuksa. Je vais donc chercher l’eau dans le lac qui s’est paré d’une fine couche de glace durant la nuit. Le temps de faire passer le café, je réchauffe mes mains qui se sont déjà parées de bleu. Dans le silence du matin, profitant encore d’un moment de solitude, je savoure cet instant précis et privilégié en même temps que je bois ma première gorgée de café. Skål !
Quitter une beauté fragile
Il y a des lieux où vous resteriez une éternité à contempler les infinies nuances de chaque roche, de chaque sommet, de chaque morceau de glace. Celui-ci en fait définitivement partie. Pourtant, il est temps de redescendre pour de nouvelles aventures. Alors que nous rempaquetons nos affaires, le soleil passe au dessus des montagnes. En un instant, l’atmosphère se réchauffe. On peut la ressentir seconde après seconde à travers nos vêtements. Un nouveau jour se lève, de nouvelles aventures nous attendent. Il est temps de redescendre.
En descendant, nous prenons conscience de l’immensité de la vallée. La veille, l’obscurité et la brume bouchait les perspectives. Ici, elle dévoile son immensité. Malheureusement, cette beauté quasi himalayenne est aussi stupéfiante que fragile. En effet, des panneaux placés à intervals réguliers nous font réaliser la vitesse à laquelle le glacier recule. En 25 ans, la langue glaciaire a perdu plusieurs centaines de mètres et confirme malheureusement que l’Arctique est bien l’une des zones les plus touchées par le réchauffement climatique.
Descendre et se questionner
Après cet amère constat et avoir laissé une trace de notre passage dans le log book, c’est le coeur lourd que nous rejoignons la vallée. La lumière est étonnement chaude ce matin-là. Les bouleaux et myrtilles exaltent leur couleur. Malgré l’ultime détresse de notre terre, elle ne cesse de nous offrir ses beautés sur un plateau d’argent. Comment en est-on arrivé ? Comment a-t-on pu détruire cette nature ? Pourquoi a-t-on ouvert la boite de Pandore ?
En descendant, nous ne cessons de nous questionner sur notre présence, sur notre impact sur un tel milieu. Que peut-on faire ? Cesser de voyager ? Cesser de nous émerveiller ? Je ne pense pas que cela soit la solution. Avec ce blog, j’ai toujours voulu vous “pousser dehors”. La nature a tellement à nous apprendre. De plus, je reste convaincu que la première étape pour la protéger, c’est de l’aimer, de la comprendre et de pouvoir lire sa détresse. Certains y verront de l’hypocrisie, d’autre de l’aveuglement, moi, je suis mon coeur. Et si ces quelques mots peuvent vous donner envie de chérir cette nature fragile, alors ce blog n’est pas vain.
Parcours – Bivouac au pied du glacier de Steindalen
Afin de préserver le milieu, les parcours sont désormais payants. Cela permet de financer le blog et de vous conscientiser à l’importance de prendre soin des chemins et infrastructures que vous empruntez ou utilisez. En effet, les parcours traversent souvent des zones sensibles et protégées.
Merci de votre compréhension