Il n’y a rien de mieux que de commencer un programme d’entraînement par une sortie longue sous une pluie battante typique de nos contrées du nord. Courir sous la pluie nous ramène au final à une forme d’ascétisme traditionnel du bien être par la souffrance. Et si le running était la forme avancée de l’ascétisme?
Petit tour d’horizon historique
Il ne faut pas aller loin et établir des élucubrations pour relier le running et l’ascétisme. En effet, linguistiquement, le terme descend du mot grec ἄσκησις (áskēsis) qui signifie : exercice ou entraînement. Celui-ci fut repris en latin sous les formes asceta et ascetria (fém.) pour désigner ceux qui exerçaient leur corps et leur esprit à l’exercice de Dieu, autrement dit les moines et par extension les monastères.
Au Moyen-âge, l’ascèse désigne non seulement l’exercice spirituel mais aussi physique que les moines pratiquent quotidiennement. Il est particulièrement attaché à deux formes de monachisme qu’est l’érémitisme et le Gyrovague. Pendant cette période de torpeur et d’obscurantisme que constitue le Haut Moyen-Âge, de nombreux moines décident de se retirer du monde (anachorètes ou ermites) dans des lieux sauvages ou errer à travers le monde (gyrovague). Bref, ces moines sortent de la société et de son confort. Ils se mettent en danger pour être meilleur dans l’exercice religieux. Ils structurent leurs jours autour de la prière, de la méditation mais surtout l’exercice voire la mortification du corps. La retraite ou l’errance constitue leur ascèse. Par les difficultés inhérentes à de telles vies, ils atteignent une forme de plénitude. En sortant de leur zone de confort, ils touchent, selon eux, à une plus grande proximité divine.
Plus tard, le mot tendra à se laïciser pour désigner toute forme de discipline (religieuse, intellectuelle ou philosophique) visant à définir une “doctrine morale qui prescrit la libération du corps par la domination des instincts, des plaisirs et des passions en vue de la perfection morale” (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/ascétisme). Dans cette définition moderne et philosophique, on revient au principe grecque d’exercice et d’entraînement du corps. La perfection morale s’obtient par la domination et la maîtrise du corps.
Je terminerai cette petite logorrhée historique (Historien de formation, on ne se refait pas ^^) en précisant que je n’ai abordé l’évolution du termes que du point de vue occidental mais que l’orient connaît également des disciplines ascétiques fortes aussi bien dans l’Islam ou le Judaïsme que dans les philosophies et religions d’extrêmes orient (ex : les Bouddhistes et leur retraite spirituelle dans la montagne).
Le running comme ascèse
On en revient alors au running. Lorsque nous sortons tous les jours qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige pour souffrir pendant plusieurs heures. On en vient, lors de ces longues heures sur les chemins, à réfléchir à de multiples choses. Réfléchir sur soi, réfléchir sur le monde et ce qui nous entoure, nous tentons de nous accrocher à des idées agréables afin d’oublier ces jambes qui veulent abandonner depuis de nombreux kilomètres. Sans le savoir et même si notre chrono est moins bon que la semaine précédente, on aura entraîné une chose qui nécessite de sortir de sa zone de confort : le mental.
Pour tout coureur qui rêve un jour de courir un ultra, je pense que l’entraînement du mental est CAPITAL. Et pour faire ce type d’entraînement, il faut se mettre en défaut, il faut se mettre en souffrance, il faut exercer une forme de mortification ascétique. Pour tous ceux qui comme moi habitent sous des latitudes peu clémentes (et les autres aussi :p), nous avons déjà tous connu ce jour où le plan d’entraînement indique une sortie longue ou des fractionnés alors que les fenêtres de votre maison sont habillées d’un rideau… de pluie. Avant même de faire vos premières foulées, vous savez que vous allez en baver. Vous allez avoir froid, vous allez avoir le visage bleui par le froid et les lèvres gercées par le vent déchirant. Pourtant, vous enfilez vos runnings et vous sortez. Courir par tous les temps devient notre ascèse quotidienne.
Durant la séance, il y aura souvent cette pensée malsaine qui tentera de vous assaillir : “Qu’est-ce que je fous ici alors que le feu crépite à la maison???”. Chaque fois qu’elle tentera de poindre, vous la chasserez avec cet orgueil un peu fou de vouloir finir cette séance ou cette compétition. 2h, 3h, 4h… 8h… Inlassablement, vous battrez en brèche ces idées noires pour enfin passer la ligne d’arrivée. Puis le bonheur et la fierté vous assailliront mais là hors de question de les faire fuir.
Vous savourez cet instant… Vous venez de faire un exercice d’ascèse de plusieurs heures et vous en récoltez les bienfaits. Vous avez dominé vos frustrations, vos douleurs et votre mental. Vous êtes sorti de votre zone de votre confort et cela vous rendra plus FORT. C’est pour toutes ces raisons que j’ai toujours associé l’entraînement et le dépassement de soi à l’ascétisme. Finalement, le runner ne serait-il pas l’ascète moderne par excellence?
J’aime beaucoup comment tu décris le lien entre l’ascétisme et la course à pieds.
Merci beaucoup !
Salut Julien,
Belle réflexion, comme souvent sur ce blog. Le parallèle est intéressant mais il a un biais qui me gène. Comparer la pratique de la course à pied à une forme d’ascèse, c’est dire que s’entrainer c’est s’insensibiliser, sortir de sa zone de confort pour ne plus ressentir, puisque l’ascèse est précisément la domination des instincts des plaisirs des passions (pour reprendre la définition que tu mentionnes).
Or à mon sens, il y a une autre vision envisageable : courir longtemps, vite (enfin par rapport à son niveau bien sûr) et dans des conditions difficiles a un effet “sensibilisateur”. Un effet qui fait du coureur quelqu’un de proche de ses sensations, à la recherche de ces informations qui lui font comprendre qui il est, comment il se sent, et qui n’empêche pas de penser bien au contraire. Courir le rend plus vivant.
En guise de pied de nez, je dirai que selon mon point de vue, le coureur est peut être, non pas l’ascète des temps modernes, mais l’hédoniste de notre époque.
Stéphane, tout d’abord merci pour cette petite réflexion ! Ça fait plaisir de pouvoir discuter comme ça sur ce genre de sujet 😀 .
Je ne suis pas d’accord car l’hédoniste ne recherche que le bonheur sans la souffrance.
Quand je donne cette définition, il y a clairement la domination physique pour atteindre l’ataraxie, le bonheur et le plaisir. Mais ce dernier n’est jamais recherché pour lui-même mais à travers un effort qui le précède.
La définition que je donnais et je ne suis pas rentré dans le détail pour ne pas “barber” le lecteur a été donnée par les humanistes philosophes. Ceux-ci sont emprunts de religiosités. Leurs passions, les instincs en question sont à prendre dans un sens péjoratifs. Ce sont les fameux comportements menant aux vices.
Autrement dit, il faut y lire la facilité… L’instinct comme pulsion immédiate et la passion comme élément irréfléchi ce qui n’est absolument pas propre au running.
Voilà pourquoi, je reste convaincu que le running se rapproche de l’ascétisme et s’éloigne de l’hédonisme ;).
J’avais le pressentiment qu’il ne fallait pas te lancer sur le sujet 😉
D’accord mais à moitié : hédonisme = recherche du plaisir, certes mais de manière raisonnée. Cela passe par une maitrise de soi, y compris de son corps, et l’exercice physique peut faire partie d’une philosophie hédoniste.
En disant cela, je me dis que l’hédonisme ne peut se concevoir qu’avec une certaine forme d’ascèse finalement…
SI on n’a pas barbé le lecteurs de commentaires avec ça, disons qu’on est bien partis quand même!
Je rentre de ma sortie matinale pluvieuse, venteuse et douloureuse pour les jambes ! Ce billet tombe à point, j’ai passé 45 minutes à me dire : “Qu’est-ce que je fous là” ! Mais au final, au sortir de la douche, mes pensées sont : “Comme j’ai bien fait d’y aller” 🙂
Très chouette article !
L’article signé là est vraiment! Je crois que de manière générale la course à pied est un sport qui requiert que l’on se mette un peu en retrait du monde. De ce monde qui tourne trop vite, trop, sans s’arrêter. On a le temps de prendre du recul pendant ces moments de retraite seuls avec soi même et pour les préserver il nous incombe aussi de faire des choix de vies qui peuvent détonner.
Super intéressant, mes cours de philo sont trop loin pour être sûr des termes mais je me souviens qu’il faut se garder d’opposer les ecoles de pensée.
En effet l’hédonisme ou l’ascetismes sont complémentaires dans leur recherche du bonheur. Ce n’est que poussé à l’extrême pour des visées religieuses ou les vices que l’opposition survient. Pour des personnes équilibrées cela restera des pôles dont on se sent plus ou moind proche.
Un risque de l’ascetismes est de se couper de ses sensations alors pour evitet il faut cultiver sa présence, son attention et sa sensibilité aux “sensations”.
C’est parce que courir nourrit l’ascete, le conteplatif, le jouissif et le “présent” que cela nous apporte autant au fil de la vie.
On peut courir pour fuir, se fuir ou se retrouver se reconnecter avec le monde ou se couper d’un monde…
On a pas à prescrire ce que doit être la pensée accompagnant l’acte de courir car elle est purement potentielle et peut se condenser sous n’imporye suelle forme. Ainsi derrière la répétition de l’acte le mental varie à l’infini !
Hello Loïc, merci pour ton commentaire.
Pourtant, je le trouve intellectuellement à côté du propos.
Je n’oppose pas des écoles de pensées car je ne philosophe pas. Je prends le terme “Ascèse” dans sa forme historique c’est à dire dans sa mise en pratique à travers l’érémitisme et l’exercice religieux.
Je ne parle pas de “recherche du bonheur”, ni d’hédonisme, je parle de la course comme exercice spirituel. C’est tout ;).
Je suis historien pas philosophe bien que j’ai pas mal bossé sur l’Histoire de la Philosophie. Du coup, je m’en tiens au fait. A l’expression de l’ascétisme dans l’histoire et non à ce qu’il revêt de philosophique.
Bien à toi,