Là, au bout de cette péninsule, au bout du monde, un phare et une cabane ; seuls, balayés par les vents de l’hiver, ils constituent l’ultime vestige de civilisation avant l’horizon infini de l’arctique. Dormir dans un phare en Norvège du Nord au bout des Alpes de Lyngen est une expérience hors du temps. En plein confinement, nous avons vécu une soirée aussi étrange que magnifique ! Tu viens ? Je t’y emmène.
Confinés en Norvège du Nord
Le 12 mars 2020 restera pour beaucoup d’entre nous une date charnière. Celle à laquelle le monde se confinait face à la propagation rapide et dévastatrice du Covid-19. J’étais en Norvège avec des clients que je guidais. Nous revenions de deux jours de chiens de traineau coupés du monde avec mon ami Quentin Crahay. Je me vois encore en train d’enlever le harnachement des chiens quand la copine de ce dernier nous informe de la nouvelle : la frontière norvégienne est fermée et tous les étrangers doivent rentrer chez eux au plus vite.
Heureusement, mes clients décollaient deux jours plus tard. Leur retour s’est fait sans encombre. Quant à Suzanne et moi, nous devions repartir une semaine plus tard. Notre vol étant maintenu, nous avons alors pris le parti de goûter au confinement norvégien. Celui-ci se limitait principalement à la distance sanitaire et à la fermeture des magasins “touristiques”. Dès lors, face au “lockdown” mondial, nous avons goûté à un confinement traditionnel en Scandinavie : celui des cabanes. Et celle que nous avons testé en premier est sans doute la plus extraordinaire de toute : un phare du bout du monde balayé par les vents arctiques…
Alors que le monde se confinait, nous rentrions en cabane. Alors que le monde cédait à la peur, nous cédions à la silencieuse contemplation des rivages arctiques.
Pour une lecture encore plus immersive de cet article, je te conseille d’écouter ceci :
Disparaître aux confins du monde
Là où la route prend fin
Ce matin là, après deux jours à errer sans but dans Tromsø, nous prenons la route du Nord des Alpes de Lyngen. J’avais repéré ce phare, le Lyngstuva, situé à l’extrême nord de la péninsule où il serait possible de passer la nuit. L’idée même de fuir la frénésie virale du monde et de “rentrer en cabane”, comme certains rentrent dans les ordres, résonnait en moi avec une symbolique toute singulière. Cette envie partagée avec Sylvain Tesson est un moyen de donner vie à notre amour pour les cabanes, le feu de bois et les grands espaces.
L’idée même de fuir la frénésie virale du monde et de “rentrer en cabane”, comme certains rentrent dans les ordres, résonnait en moi avec une symbolique toute singulière.
Depuis Tromsø et avec les ferries à l’arrêt avec le récent “lockdown”, la route est longue, très longue. Il nous faut près de 4 heures de lentes et sinueuses oscillations sur une route enneigée pour atteindre notre objectif. Il n’y a personne sur les routes et j’ai l’impression d’être dans Walking Dead. Les villages sont désertés, sans trace de vie. Seuls les cristaux de glace balayés par les vents offrent un semblant de vie. La rumeur du virus se propage bien plus vite que la maladie elle-même, ça c’est une certitude. Enfin, nous arrivons à la fin de la route, fin des temps et de la terre. Là, nous cassons la graine au bord de l’eau de gelée comme un pied de nez à la peur envahissant le monde.
Du café et des grillpølser
“Prendre le temps” est une chose que nous avions presque oublié et que la pandémie nous a rappelé comme une richesse intarissable. Là haut en Norvège du Nord, la nature vous l’impose tout simplement. Après tout, qui résisterait à l’appel d’un petit feu de camps au bord de l’eau pour griller des saucisses ? Avec la danse des nuages dans le lointain faisant écho à celle des flammes, nous avons là l’exemple ultime du casse-graine scandinave : le théâtre glacial de l’arctique et la chaleur du feu de camps… Que demander de plus ? Un instant tout simple avant de partir s’isoler…
Le feu vacille. Ciel et mer ne font plus qu’un. L’arctique nous pousse à fuir la civilisation. Fuyons ! Isolons nous dans ce phare aux confins du monde
Au loin, les averses de neige se succèdent et déversent un manteau d’albâtre de l’autre côté du fjord. Un vent du Nord nous giffle le visage. Le feu vacille. La kuksa de thé ou de café protège nos carcasses emmitouflées des agressions du froid tandis que les grillpølser réchauffent nos coeur. On sous estime trop souvent le pouvoir d’un feu de camps et d’une kuksa. En quelques secondes, l’horizon se bouche et la neige se met à tomber au dessus de nos têtes. Ciel et mer ne font plus qu’un. La météo nous pousse à la découverte de ce phare situé à la pointe des Alpes de Lyngen.
Disparaître dans l’albâtre
Le trajet vers le phare n’est pas long, à peine quelques kilomètres. Alors que nous nous engageons sur le parcours, la neige double d’intensité. Nous sommes désormais totalement invisibles, avalé par le “white out”. La fin de la route n’est déjà plus qu’un souvenir évanoui. Seule la mer tente de ne pas disparaître. Elle fracasse son écume sur les rochers faisant résonner le ressac des vagues. On aurait pu regretter d’avoir l’horizon bouché. Pourtant, j’y trouvais une forme de satisfaction. En effet, j’ai toujours eu une fascination pour ces hommes et ces femmes décidant du jour au lendemain de “disparaître” pour suivre leur conviction intime.
Comme un marin qui largue les amarres : naviguant vers l’horizon sans savoir si un port l’attend de l’autre côte. Il sait qu’il doit partir même s’il ignore l’objectif de son aventure.
Cette folie assumée de vouloir s’arracher des cadres de la société pour partir vers l’inconnu, ne serait-il pas l’expression parfaite de la liberté ? Aucune commune mesure bien sûr avec notre escapade, nous avions un objectif clair : dormir dans un phare. Néanmoins, il m’est arrivé plus d’une fois pendant le confinement de repenser à cette expérience. En effet, les conditions imposées pendant le confinement m’ont plus d’une fois donné l’envie de “disparaître” à nouveau dans ce phare à l’extrémité des Alpes de Lyngen, oubliés de tout et de tous…
Dormir dans un phare en Norvège du Nord
Un phare au bout du monde
Après deux petites heures de marche, un rocher, un petit dénivelé et des flancs verglacés rendent l’approche un peu hasardeuse à défaut d’être vraiment aventureuse. Le froid mordant attise encore plus notre curiosité. Où est ce satané phare ? Nous avançons et pensons l’apercevoir à chaque détour de rocher. Rien ! Puis soudain un coup de vent, la perspective se dégage et apparaît en contre bas notre fragile cabane et le phare à ses côtés émettant à intervals réguliers sa faible lumière. Je n’ai décelé aucune trace dans la neige. La cabane est vide. Avec les embruns, les rochers à proximité de la cabane sont entièrement verglacés. Cela rend l’avancée avec les raquettes scabreuses.
Là au bout du monde, à la fin du chemin, un phare, une lueur dans la nuit et un refuge en ces temps troublés…
Le vent porte à mes oreilles un grincement. Je lève les yeux vers la cabane et aperçoit la porte d’entrée ouverte, oscillant avec le vent et émettant ce lugubre son. Comme s’il s’agissait d’une forme de respect vis-à-vis de ce lieu, on n’ose y rentrer directement. On en fait le tour. Puis, on contemple les flots et les embruns, véritables gardiens du phare. Au loin, par delà l’horizon, je me plais à croire que je perçois dans cette météo le hurlement de Njörd… Il est temps de se mettre à l’abri.
La cabane, une philosophie scandinave
Depuis que je voyage en Scandinavie, s’il y a bien une chose qui m’a tout de suite fasciné, c’est cette culture des cabanes. Dans les parcs, il y a toujours des cabanes accessibles aux errants. Perdues au milieu de nulle part, littéralement, elle représente une oasis d’humanité au coeur de la sauvagerie. Ici, la cabane est une exception. Abandonnée, elle a été reconstruite par des marins allemands au début des années 2000. Dès que l’on entre, on est d’ailleurs frappé par la petitesse des lieux qui contraste avec toutes les choses qui y sont entassées.
De bric et de broc, on prend plaisir à s’approcher, à soulever, à lire et à s’approprier chacun de ces souvenirs d’aventures.
A l’intérieur, du bois, un poêle à bois, des livres, des souvenirs, des notes, des croquis, des photos punaisées au mur et plein plein de bougies. Bref malgré son isolement, il y a sans doute plus de vie dans cette cabane que dans bien des foyers modernes… Alors que le vent fait trembler la masure à chaque rafale, Suzanne et moi continuons la découverte des lieux : la remise à outil, l’étage en mansarde qui nous accueillera pour la nuit et cette fenêtre donnant sur la tempête…
Gardiens du phare
À peine a-t-on poser nos affaires que j’allume le feu. Il ne reste presque plus de bois. Heureusement, j’avais anticipé le problème. Suzanne portait dans son sac notre réserve de bois, notre chaleur pour cette nuit… En effet, dormir dans ce phare en Norvège du Nord, comme partout ailleurs à ces latitudes, cela ne s’improvise pas ! Heureusement pour nous, la tempête maintiendra une température à peine négative et la chaleur de la cabane s’élèvera rapidement ! Une fois bien au chaud, nous sortons le saumon fumé, une bière et le polarbrød. Il n’y a pas à dire : nous sommes à ce moment précis à la fois les gardiens d’un phare au bout du monde et les rois du monde confiné.
Avec un tel festin, la danse des bougies comme spectacle et le mugissement du vent comme bande sonore, on se sent les rois du monde !
Cette proximité avec la mer est troublante. Le vent s’immisce. Les bougies vacillent, la lampe tempête également. En réalité, chaque rafale fait tressaillir la cabane. Et nous, derrière cette fenêtre, restons parfois de longues minutes silencieux à écouter tous les craquements de notre abri qui se joignent aux mugissement d’Aquilon. À cet instant précis, il en faut peu pour s’imaginer en plein océan en train de naviguer… Et c’est ainsi, bercés par le ressac de la mer que nous finirons la soirée avant de monter par l’étroite petite échelle dormir sous la toiture. Le problème de ces poêles que l’on trouve dans les cabanes est leur capacité à transformer l’espace en sauna en instant mais ne pas être capable de stocker la chaleur. Résultat : j’ai du raclé les fonds de tiroir à 5 heures du matin pour rallumer le feu.
Retour à la civilisation
Groggy par le froid et l’évident manque d’isolation de son duvet, Suzanne profitera jusqu’au bout de la maigre chaleur récupérée par l’allumage du poêle. Le matin est particulièrement humide et l’idée de rejoindre la civilisation et la folie virologique ne m’enchante pas du tout. Je profite donc de ces derniers instants. Jetant un dernier regard aux carnets et photos punaisées au mur, je savoure mon café et j’hume une ultime fois le bouleau brulant dans le poêle. Dehors, il neige toujours autant. Pourquoi tous les matins ne sont-ils pas aussi simple que celui-ci ? Pour quelle raison compliquons-nous nos existences ? Pourquoi ne nous laisse-t-on pas plus de libertés ? Ce sont sans doute ces dizaines de questions qui ont rendu le départ de la cabane aussi difficile…
Quitter ce bout du monde, quitter cette cabane, quitter cette liberté signifiait s’enfermer dans un monde d’obscurantismes qu’un virus portera à son paroxysme… Voilà désormais mon futur pour ces prochains mois ou années, celui d’un lynx en cage rêvant d’une liberté révolue. La retrouvera-t-on?