Là haut, en Laponie finlandaise, coule une rivière sauvage à travers l’une des dernières zone de nature sauvage d’Europe. Au coeur de l’Hammastunturi Erämaa, j’ai vécu l’une de mes plus belles aventures. Remonter le courant à pied à travers la taïga puis, se mettre à l’eau pour descendre l’Ivalojoki en packraft. Pendant 5 jours, coupé du monde, j’ai vécu, avec deux amis, au rythme d’une nature intacte et sauvage, le paradis.
- Hammastunturi Erämaa : une des dernières zones sauvages d’Europe
- Ivalojoki en packraft : récit de 5 jours d’aventure dans la zone sauvage d’Hammastunturi
- Vidéo de notre descente de l’Ivalojoki en packraft
- Genèse d’une expédition en Laponie finlandaise
- Préparation, matériel et parcours pour descendre l’Ivalojoki en packraft
Pour une lecture encore plus immersive, je vous conseille d’enclencher cette petite mélodie forestière.
Hammastunturi Erämaa : une des dernières zones sauvages d’Europe
“Il n’y a plus d’espaces sauvages en Europe”, j’ai très souvent lu et entendu cette affirmation avec un mélange de tristesse et de consternation. Comment l’homme européen avait-il pu être aussi insouciant, au point de faire disparaître toute trace de sauvagerie en Europe ? Sans doute ce fameux “humanisme des Lumières” et son monopole de la raison a dû jouer dans la balance. Puis, l’industrialisation a donné le coup de grâce en jetant dans les flammes du “progrès” les dernières forêts primaires d’Europe…
Pourtant là haut, dans le Nord, se trouve la discrète Finlande, pays le plus boisé d’Europe. De fait, 86% de son territoire est couvert de forêt. Vous vous rendez compte ? 86%. Il ne faut donc pas être surpris d’apprendre qu’elle accueille l’une des dernières zones sauvages d’Europe. D’ailleurs, la quasi totalité du nord de la Laponie finlandaise n’est constitué que de parcs et de réserves naturelles. Partagé entre la taïga et la toundra (sur les sommets), l’Hammastunturi Erämaa est l’un d’entre eux. Et c’est là, avec les magnifiques couleurs d’automne que je vous emmène aujourd’hui !
Ruskasoihdut haapapuiden hyvää matkaa toivottaa.
– “Les torches des feuilles d’automne vous souhaitent bon voyage“, Siiville Nousu – Kauan
Ivalojoki en packraft : récit de 5 jours d’aventure dans la zone sauvage d’Hammastunturi
1er jour – Abandonner la société (23km et 700 D+)
Jusqu’aux portes de la zone sauvage d’Hammastunturi
Afin d’éviter une longue portion de piste monotone, nous faisons appel à un taxi pour nous amener aux portes de la zone sauvage d’Hammastunturi. Le chauffeur est un lapon taiseux aux airs austères qui embarque nos sacs de 30kg comme s’il s’agissait de vulgaires fagots de pailles. L’éducation forestière doit y être pour quelque chose. C’est dans un silence gêné que nous quittons Ivalo et attaquons une piste interminable. Au fur et à mesure que la taïga laponne reprend ses droits, le chauffeur se fait de plus en plus loquace et prend plaisir à montrer dès que possible les sommets et autres lieux-dits qu’il connaît.
Après 40 minutes, la route s’arrête. Il n’y a plus qu’un horizon infini de bois. Quelque part dans cette vaste étendue, une rivière, l’Ivalojoki, nous attend ; trait d’union de cette sauvagerie sans fin.
Après avoir repris nos sacs, le chauffeur prend congé. Alors qu’il s’apprête à rentrer dans son véhicule, il fait volte-face. “Si vous avez un problème, appelez-moi”, nous dit-il en tendant sa carte le plus naturellement du monde. Nous nous regardons avec un petit sourire. On ne sait pas trop si on doit rire ou non. La première option sera vite imposée. Dans un anglais plus que moyen, il nous met en garde contre les rennes mâles, en rut à cette époque de l’année. De crainte que nous n’ayons pas compris, il nous mime la chose dans un subtil mouvement de bassin. Nous éclatons tous de rire !
Savourer le silence
Les rumeurs de notre taxi s’évaporent nous laissant seul dans cette immensité. Il gèle, le ciel est bleu et aucun son ne vient perturber cet équilibre. Je goutte alors à un trésor plus fragile et rare que quoi que ce soit d’autre sur terre : le silence. Dans cette immensité, point de sentier, point de balise, point de réseau, la carte prend les pleins pouvoirs. J’avais tracé le parcours au bic noir sur une carte de la zone, seul filin nous rattachant à la civilisation.
Un pied devant l’autre, la carte en main, et le nez au vent, nous humons le parfum de la liberté et du silence absolu.
Lors de cette première journée, les tracas du quotidien tentent de s’accrocher comme un alpiniste glissant sur une pente abyssale… L’alpiniste tente de planter le piolet, ça fait mal et puis, un coup de vent, et le corps décroche… Il disparait dans le vide infini. Je suis désormais totalement libre. La Nature possède cette force de vous recentrer sur l’essentiel. La rudesse de la Laponie finlandaise impose assez rapidement de s’y consacrer entièrement.
Entre marais et tunturi
Même si la Laponie finlandaise semble relativement plate, elle n’en reste pas moins technique. Ici dans la zone sauvage d’Hammastunturi, l’absence de sentier et de balisage impose de marcher sur un sol chaotique où s’entremêlent myrtilliers, rochers, arbres morts… L’avancée est souvent pénible, à peine plus de 3km/h. De plus, l’horizon bouché par les bouleaux, les pins et les sapins empêche la contemplation. Et quand la perspective s’ouvre enfin, les marais prennent malicieusement la relève et ceux-ci tentent par tous les moyens de vous aspirer dans l’antre de la terre.
Ces longues heures passées dans des bois sans horizon mettent les esprits à rude épreuve. Les quelques rares observations de rennes ou d’aigles viennent heureusement rythmer une avancée qui, il faut bien le dire, est souvent monotone. Après 5 heures de marches, les premières douleurs font leur apparition. Mon sac pèse près de 30kg avec le matériel photo. C’est beaucoup trop mais je ne voulais faire aucun compromis au niveau photo ou vidéo. Du coup, Je savoure avec délectation chaque pause que nous faisons. Quelques minutes à manger une barre de céréales, boire un coup d’eau et savourer l’instant deviennent des richesses absolues…
La vie est simple : souffrir en silence, se sustenter et contempler le paysage. L’immensité n’a que faire de vous. Elle vous tolère. A vous d’en accepter les règles et de respecter ces préceptes dans un mutisme quasi religieux.
Vers le sommet de l’Hammastunturi
Malgré l’apparente platitude de la Laponie, les tunturis, nom donné aux collines laponnes, émergent ça et là. Avalés par la forêt, nous les distinguons à peine de la ligne d’horizon. Pourtant, nous en gravirons quelques uns lors de cette première journée dont le plus haut de la zone sauvage, l’Hammastunturi qui culmine à 531m. Au delà de 400-450m, les arbres disparaissent et nous offrent des panoramas à 360° sur notre terrain de jeu. Plus la journée avance et plus nous sommes partagés entre l’excitation d’une contemplation extatique et l’ascèse physique d’un anachorète de jadis.
Sur les pentes de l’Hammastunturi, nous abandonnons nos sacs pour atteindre son sommet. Là haut, nous contemplons alors tout le chemin parcouru et à parcourir. Rien d’humain ne vient perturber la pureté de cet environnement. Puis telle une apparition divine, un renne blanc nous regarde avec toute la naïveté du premier jour de la terre. La zone sauvage d’Hammastunturi est bel et bien l’une des dernières zones sauvages d’Europe. Même le vent souffle en silence.
Psalmodiant notre pensée, marcher dans ces étendues fait de nous de pieux pèlerins. Les pieds sur terre, la pesanteur du sac et pourtant notre esprit s’élève ! Enracinés dans les bouleaux, pensées envolées ; souffle du vent.
Du sommet au bivouac
La Laponie est à chaque instant identique et différente, monotone et pourtant ensorcellante. Forêts, marais, tunturi, rocher, rennes, marais, pieds mouillés, faim, horizon, horizon, rocher, forêt, forêt, marais, rennes, tunturi, les heures défilent. Bientôt nous sommes baignés par la chaude lumière dorée du crépuscule. Tout se transforme en mirage, le paysage devient un trésor ou plutôt une enluminure. Nous, nous sommes les héros d’une muette épopée. La fatigue nous pousse à poser le camps avant que le gel ne le fasse à notre place.
En un rien de temps, nous montons les tentes. Nous nous réchauffons avec notre repas lyophilisé. Un peu hardiment, nous tentons de lancer un feu. Malheureusement, la fatigue, l’absence de bois secs et d’amadous auront vite raison de notre patience. Le soleil vient de disparaître sous l’horizon. Il est 20h30 et nous nous glissons dans nos duvets éreintés mais heureux de cette première journée en pleine nature. Alors que je m’endors, il me vient en tête ce cris de guerre finnois que j’ai connu gamin à travers la chanson de Turisas “Rexi Regi Rebellis” : “Abats les, fils du Nord”… Je pense que c’est réussi !
Hakkaa päälle pohjan poika !
– “Abats les, fils du Nord“, cri de guerre des Hakkapélites
2e jour – S’enfoncer en pleine nature (22km et 400D+)
S’extraire de la nuit glaciale
J’ouvre la tente dans un crissement givré. Le silence est encore plus assourdissant que la veille. Dans cette plaine infinie à l’abri des collines, nos deux tentes sont comme deux navires égarés dans un océan de sauvagerie. Au loin j’aperçois les premiers rayons du soleil qui sont déjà à la tâche pour tenter de réchauffer les terres gelées par la nuit. Mes mains se tordent avec le froid. Saleté de syndrome de Raynaud, elles sont gelées. Je cherche après mes gants, lance mon Jetboil et me fait rapidement un lyophilisé pour me réchauffer.
Une nuit sous zéro degré est une expérience particulière. Elle vous rapproche des bêtes et, en même temps, vous intronise roi du monde. Rien ni personne ne peut vous contredire.
Depuis hier, cette vaste étendue possède déjà mon âme et mon esprit. Après une nuit dehors, elle a désormais arraché mon corps. J’ai survécu à l’obscurité et je vis cette radieuse aurore, forteresse de nos coeurs émus. Je lève les yeux au ciel et contemple l’horizon. Il s’agit bien de mon royaume, un royaume glacé. D’ailleurs, le froid nous pousse à rapidement lever le camps. La marche sera notre salut, les sacs, notre pénitence.
La grande salle de ce château d’éther est un peu froide… J’ai déjà invoque Ukko pour qu’il ramène un peu de chaleur sur la taïga. Rien n’y fait ! L’aube a décidé de nous transir.
À travers les marais infinis
Au loin, le soleil baigne les marais d’une fragile lueur. J’aspire à l’attendre afin de profiter de sa chaleur. Pourtant je sais que, l’humidité des marais dans lesquels nous nous embourberons, nous empêchera d’en profiter. Néanmoins, la lumière dorée du matin nous donne toute l’énergie nécessaire pour avancer « la fleur au fusil » ! D’ailleurs, je resterai à jamais fasciné par cette lumière laponne, matinale et irradiante. J’ai l’impression d’être le premier homme sur terre à contempler la première lueur de l’humanité. Dans ces immensités, l’on prend conscience de la vacuité de nos existences en société en même temps que la préciosité de tels instants.
Comme quoi, on peut toucher la grâce les pieds dans la boue…
Au loin, nous repérons des rennes. Ceux-ci relèvent l’encolure, sans pour autant s’enfouir. Nous sommes en pleine période de rut et de perte du velours et certains de leurs bois sont rouges de sang. Ils doivent bien rigoler de notre infortune. Heureusement, le dénivelé vient nous extraire de cette condition “les pieds dans la boue”. En effet, dans cette tourbe, on peine à déplacer nos carcasses. La cause unique et terrible est ce sac, ce sac, ce sac, ce sac ! Mon sac ! Il m’aura fait souffrir le calvaire. Après quelques heures, les hanches sont en sang. Je dois sans doute être un peu masochiste mais je trouve que cette souffrance supplémentaire ajoute un peu plus de charme à l’expérience vécue...
Tours et détours
La civilisation n’est plus qu’un vague souvenir. Elle n’a plus d’emprise. Dans cette étendue sans horizon, l’orientation est la clé. Comme je ne connaissais pas l’environnement avant d’y arriver, j’avais spéculé sur un tracé qui me paraissait efficace. Pour ce deuxième jour, mon intuition me jouera quelques tours ou devrais-je dire détours… En effet, quelques approximations dans mes azimuts nous valent quelques kilomètres supplémentaires… Cela fait partie du jeu !
Le parcours aujourd’hui est terrible : encore plus de marais, encore plus de forêts touffues et des chaos de pierres s’invitent à la fête.
Il est midi et nous arrivons à l’une des épreuves du jour : la traversée à gué d’un des affluents de l’Ivalojoki. Je suis claqué, je me traine depuis plusieurs kilomètres, le regard et l’esprit vide de fatigue. Je prends le parti de faire confiance à mes chaussettes imperméables… C’était sous estimer la profondeur de la rivière. Je suis trempé et dépité. Sur l’autre rive, je craque et décide d’attaquer la seule fondue lyophilisée de mon stock pour me remonter le moral. Objectif atteint. Ce fut un repas de prince et prêt à attaquer la suite !
Un bivouac salvateur
Après la rivière traversée, des chaussures trempées mais un repas salvateur, il faut continuer à travers une forêt monotone et sans fin. À peine, est-elle entrecoupée de quelques marais. Puis alors que la journée est déjà bien avancée, la terre se déchire et révèle un canyon au coeur de la taïga. Nos sacs sont une torture. Chaque pose pour “snacker” est un pur ravissement pour le corps et l’esprit. Je n’en peux plus. Ni la lumière, ni la relative chaleur ne peut me remonter le moral.
Certes en cette fin d’après-midi, nous pourrions avancer davantage. Pourtant au dessus de cette colline que nous avions en ligne de mire depuis quelques temps, nous capitulons et établissons le campement. Le ciel s’embrase en même temps que notre feu de camps. Aujourd’hui, c’est la fête. Nous nous couchons après le soleil ! Il est 21h30… Le temps de faire sécher les chaussures, manger et profiter d’un crépuscule époustouflant. Là au coeur de cette nature, nous touchons du bout des doigts au bonheur.
Korvessa monta asuu voimaa
– “Beaucoup vivent dans le désert”, Karhunkynsi – Moonsorrow
Et dans l’immensité, crépite le feu. Infime lueur que nous appelons “maison” le temps d’une soirée…
3e jour – Se mettre à l’eau (30km et 150 D+)
Ce matin-là, je suis réveillé par la pluie qui tombe sur ma tente. Après deux jours de rêve, nous sommes rattrapés par la météo laponne. Je passe ma tête à l’extérieur pour mesurer l’ampleur de la situation. Le plafond de nuage doit être 30m au dessus de nous. La brume nous a avalé et la bruine délave le paysage dans une ambiance morne de marais…. On remballe le camps à la vitesse de l’éclair et on enfile l’uniforme obligatoire du jour : veste et pantalon imperméables.
Les 13 prochains kilomètres qui nous séparent de l’Ivalojoki ne seront pas des plus évidents à gérer. Le dénivelé succède rapidement (trop?) à des marais interminables. J’ai l’impression d’être au coeur des Marais des Morts avec Frodon dans une forme d’errance morbide et monotone. En plus de cela, les corps éreintés par les sacs ont définitivement perdu le peu d’agilité des débuts. Une seconde d’inattention et on s’enfonce jusqu’au genou. Les marais vous happe au propre comme au figuré.
Dead grasses and rotting reeds loomed up in the mists like ragged shadows of long forgotten summers.
– J.R.R. Tolkien, The Two Towers
Premiers rapides
Peu avant midi, salutaire, je perçois un son tellement attendu : celui de l’eau qui s’écoule. Nous arrivons près de Kuttura, ce village perdu au milieu de la zone sauvage d’Hammastunturi et point final de notre traversée à pied. Les quelques chalets isolés nous apportent les premières bribes de civilisation depuis 3 jours. Pourtant, la forêt a fait de nous des bêtes sauvages. Elle nous pousse à les fuir aussi vite que nous les apercevons. On mangera plus tard !
Fuyons l’humain et laissons nous porter par l’Ivalojoki, la rivière d’or de Finlande.
Sur l’eau, je me délecte des premiers coups de pagaies. Quel plaisir de ne plus porter les sacs ! Je sais que quelques kilomètres plus tard, la douleur s’emparera des épaules et des bras cette fois. Qu’importe ! La douleur n’est qu’une information, il suffit de la zapper. La rivière nous impose d’également négocier les premiers rapides de la rivière. Classés de I à III, ils font de l’Ivalojoki l’une des rivières les plus techniques de Finlande. Cela fixe le décor…
Repousser nos limites
Les premiers rapides s’abordent de manière un peu hasardeuse et nous obligent à accoster pour vider nos embarcations. Les packrafts ne sont pas pontés afin de gagner en poids et en volume. Du coup, lorsque les rapides sont un peu trop véhéments, on récolte quelques vagues à l’intérieur de l’embarcation. Dans ces conditions, pantalon et veste imperméables sont nécessaires afin de supporter l’eau dans le packraft. Néanmoins, même si cela paraît contraignant, je ne regrette pas ce choix. En effet, devoir vider était une raison supplémentaire pour casser la graine…
Cela fait presque deux heures que nous naviguons lorsque nous arrivons à proximité de la cabane que j’avais pointé pour passer la nuit. On mange, on se réchauffe, on se sèche… Nous aurions pu rester là, au chaud et dans le calme de la cabane pour profiter de la douceur automnale de l’après-midi. C’est mal nous connaître et on choisit le challenge : continuer notre route jusqu’aux prochaines cabanes à Kultala, 12km plus loin, et y arriver avant la nuit. Il est 16h, nous avons 3 heures pour y arriver ! Finalement, ce fut sans doute la meilleure décision à prendre :
Comme pour nous remercier, le ciel se déchire et nous baigne dans une atmosphère dorée exacerbant les bouleaux en feu, cierges balisant notre route…
Détrempés à Kultala
La lumière de fin d’après-midi exalte chaque infime nuance du paysage. Là, sur l’Ivalojoki en packraft, il n’en fautpas plus pour que les larmes glissent sur les joues. Je n’ai jamais eu peur de laisser exprimer mes émotions, surtout dans un paysage comme ça. Loin de tout et de tous, il n’y a rien de plus beau que de profiter de tant de beautés. Pour paraphraser Emerson, je dirais qu’il y a dans le paysage une forme de miroir de l’âme. Sa contemplation revient à contempler sa propre nature. Mais la météo est changeante en Laponie. Déjà, la lumière s’évapore pour laisser place aux nuages et à la pluie.
Après de nombreux rapides , nous arrivons à Kultala au crépuscule, trempés et transis de froid… Cet ancien campement d’orpailleurs possèdent, en plus des bâtiments historiques, quelques cabanes à destinations des randonneurs. Certaines doivent être louées en amont, la seule libre est presque complète. Il ne reste que deux couchettes. Nous sommes trois. Qu’importe, on se serre. Le plus dur est d’essayer de trouver le sommeil dans cette ambiance surchauffée et humide. Imaginez une dizaine de personne enfermées dans 25m2 et un poêle à bois qui carbure à plein régime. L’atmosphère est absolument irrespirable. Ma pire nuit du séjour…
Niin hilijaisen, näen hilijaisen
– “Si calme, je vois le silence“, Kädet on siipinä – Korpiklaani
4e jour – Et au milieu coule une rivière (18 km de packraft)
Nous sommes les premiers à nous lever dans la cabane. Vous ne pouvez pas imaginer le bien fou de sortir respirer l’air frais loin de cet environnement surchauffé. J’ai l’impression d’avoir passer de longues minutes en apnée et de respirer enfin ! Nous avalons notre petit déjeuner et regonflons nos packraft pour continuer la route. La journée ne sera pas exigeante : 18km de packraft sur l’Ivalojoki jusqu’à la prochaine cabane. Les quelques rapides à négocier sur ce tronçon viendront pimenter une journée propice à la contemplation. En effet, après quelques heures, le ciel couvert du matin se déchirera pour nous offrir un jeu d’ombres et de lumières extraordinaires.
Pour écrire ces lignes, j’écoute « My Name is Lincoln » de Steve Jablonsky. Je ne peux retenir la cascade de frissons qui me parcourt l’échine. Chacune des notes traduisent le panel infini de sensations lors de la descente de cette rivière. La musique est extraordinaire. Elle possède le pouvoir de transcrire les émotions d’une manière tellement plus subtile et universelle que quoique ce soit d’autre. A postiori, je me dis que j’aurais pu percevoir l’écho de cette partition résonnant dans cette étendue sauvage à l’horizon infini.
Un feu, une kuksa et l’immensité
L’immensité possède un pouvoir particulier. Elle arrive à convoquer en un instant le sentiment le plus intime avec l’universel beauté du monde. Ce pouvoir est aussi fragile qu’une goutte d’eau sur une aiguille de sapin et, en même temps, aussi fort que la magie qui se dégage de cette contemplation. Le particulier et l’universel, l’équilibre du monde, l’imbrication de toute chose et soudain la prise de conscience que tout est lié ! Protégeons-le…
Ce midi-là, nous prenons le temps de nous arrêter sur la rive pour faire faire un feu et profiter des rayons de soleil pour tenter de faire sécher les tentes humides depuis 2 jours… Entre nos lyophilisés, un petit café minute dans la Kuksa, des rennes s’invitent sur l’autre rive de l’Ivalojoki. Ils passent et disparaissent aussi discrètement qu’ils sont apparus. La sérénité animale m’impressionnera toujours. On s’affaire à sécher nos affaires, à manger, à anticiper la suite. Eux, les rennes, sont là. Ils sont dans le présent : le passé oublié, le futur non envisagé. La sagesse sauvage, panacée de l’homme pressé.
Dans les forêts de Laponie
L’après-midi, la rivière nous présente un autre visage. La vallée s’élargit en quelques kilomètres. Les berges rocailleuses font la place à des bancs de sables. L’Ivalojoki s’habille de douceur à l’approche de la civilisation. La lumière d’or de cette fin d’après-midi ne vient que rehausser la noblesse fraichement acquise de la rivière. Elle a laissé son linceul de sauvagerie avec les derniers rapides… Enfin le pensions-nous... Il faut se méfier de l’eau qui dort !
Nous arrivons à la cabane fin d’après-midi. Elle est occupée par deux sympathiques finlandais. La cabane est sombre mais chaleureuse. On pose nos affaire, on se fait à manger et chacun vaque à ses occupations. Et dans cette obscurité embaumant le bois de bouleau, je me plonge dans “Le Journal des cinq saisons” de Rick Bass. Terriblement à propos, je ne peux m’empêcher de l’accompagner avec du Kopiklaani dans les oreilles… Probablement l’une de mes plus belles soirées jamais vécues…
Päällä ralvisen maan hetki kuin ikuisuus
– “Au pays de l’hiver un instant est une éternité“, Taikatalvi – Nightwish
5e jour – Kirkas aurinko – Soleil radieux (14km de packraft)
Je suis sorti de notre cabane comme de nombreux « Kulkija » avant moi pour contempler le lever de soleil. Je sentais le feu de bois et la forêt. Elle faisait partie de moi et cette horizon éveillait l’ultime barrière. Je contemplais la dernière aurore du dernier jour de notre aventure, avant le retour à la civilisation. La pluie de la veille avait invité la brume au dessus de l’Ivalojoki. Nous y naviguions déjà depuis deux jours ! Ce lever de soleil était une célébration, une ode aux grands espaces et à la simplicité de la vie. Du bout des doigts, je touchais à ce qui ressemblait fortement à la plénitude totale.
Il faisait froid. Bien au chaud dans la cabane, nous n’avons même pas fait attention au gel qui s’était abattu sur la région. Pourtant, ce dernier ne se privera de nous mordre les doigts en gonflant les packrafts. Comme deux jours auparavant, mes doigts se tordent et blanchissent à vue d’oeil. Je ne les sens plus. Ils me tireront une larme de douleur quand mon sang aura décidé de leur rendre la vie. Alors que nous nous affairons à préparer nos embarcations, un groupe de rennes apparait. Sans aucune crainte, ils s’approchent de plus en plus de nous. Nous avons tout stoppé et sommes restés là à les contempler béatement. Ils repartiront dans la forêt aussi calmement que leur entrée en scène.
La rivière d’or
Il n’y a pas un seul nuage dans le ciel, le soleil déverse sa divine lumière. En cette période de Ruska (été indien), je comprends totalement pourquoi cette région est aussi appréciée par les finnois. Pour moi, l’Ivalojoki est déjà une rivière dorée pour ces raisons. Pourtant, cette réputation lui vient de la ruée vers l’or qu’elle a connu au 19e siècle. Et comme de nombreux orpailleurs américains, de nombreux prospecteurs, rêveurs, naïfs ou business man se sont rués ici au milieu de nulle part pour espérer dégotter un peu d’or… Des paillettes ou tout au plus quelques minuscules pépites…
La Laponie se transforme en un palimpseste enluminé. L’Histoire se transforme en épopée, le vent en rumeur et la forêt en salle de trésor.
Turbulence et Fin d’une aventure
La rivière Ivalojoki a définitivement abandonné son humeur torturée. Le parcours du jour ne possède aucune difficulté particulière et baigné dans cette magnifique lumière, c’est du pur plaisir. On prend le temps de savourer nos derniers instants en pleine nature, loin de tout. Bientôt, les premiers chalets feront leur apparition en même temps que les terribles rapides de Tolonen… Et oui, ce calme n’était qu’une diversion pour nous amener à ce qui n’est rien de moins que les pires rapides que nous ayons à traverser… Les creux des vagues font au moins 1m. Les rochers sont partout et rendent le passage vraiment casse gueule. Heureusement, des balises indiquent aux navigateurs la trajectoire à suivre. J’en ressors trempé et transi de froid.
Ce froid ne me quittera plus avant d’arriver à proximité de l’aéroport où nous avions décidé de nous arrêter pour éviter la portion plus « urbaine » de la rivière. Le téléphone capte le réseau pour la première fois depuis 5 jours. C’est bien fini. Les futilités de la société reviennent à grand pas. Pour prolonger le plaisir, on allume un feu et on se fait un dernier lyophilisé salutaire en mémoire à cette petite expédition dans la zone sauvage d’Hammastunturi. Ce que cette aventure laponne m’aura appris ? Rien n’est plus précieux que le silence et la chaleur d’un feu de camps !
Vain pisaran vettä kylmyyteen Käsillä juoksemaan ihmisten
– “Dans le froid, une goutte d’eau court sur les mains de l’Homme“, Jäästä syntynyt / Varjojen virta – Moonsorrow
Vidéo de notre descente de l’Ivalojoki en packraft
Pour la deuxième fois depuis que je tiens ce blog, j’ai confié le montage de ma vidéo à quelqu’un d’autre. Pourquoi faire cela me direz-vous ? Et bien, quand une expérience vous a autant marqué que ces 5 jours dans la zone sauvage de l’Hammastunturi, on manque souvent du recul nécessaire. Du coup, j’ai demandé à un autre passionné d’aventures : Jérémy Janin (alias Djisupertramp). De part son expérience, je savais qu’il pourrait rendre un juste hommage aux images de cette aventure.
En attendant la version complète de la vidéo, je vous partage quelques secondes comme teasing. J’espère que vous apprécierez ces quelques minutes hors du temps, au coeur de la Laponie finlandaise, de la zone sauvage d’Hammastunturi et sur l’Ivalojoki. N’hésitez pas à pas à la partager si vous l’avez appréciée. Je sais qu’elle sera plus facilement reçue que cette article-fleuve de plus de 5000 mots.
Genèse d’une expédition en Laponie finlandaise
À la recherche du sauvage
Vous vous demandez sans doute comment m’est venu cette idée de me perdre dans cette contrée sauvage ? Après ma première expérience de packraft sur la rivière Oulanka, je suis littéralement tombé sous le charme de cette région. Je n’avais plus qu’une idée en tête : retourner là haut pour faire du packraft. J’ai donc cherché une rivière encore plus isolée et encore plus sauvage que la rivière Oulanka. Lorsque j’ai eu connaissance de la rivière Ivalojoki (et de la zone sauvage d’Hammastunturi), c’est immédiatement devenu une évidence.
En effet, imaginez une des rivières les plus sauvages de Finlande s’écoulant à travers une des dernières zone de nature sauvage d’Europe. Il n’en fallait pas plus pour me séduire d’autant plus que cette région était quasi absente d’Instagram. Cela peut être un détail pour vous, mais pour moi, cela signifiait deux choses. Premièrement, la région devait être réellement sauvage et isolée pour qu’elle soit si peu représentée sur les réseaux sociaux. Deuxièmement, cela signifiait que je pourrais aborder cette région sans a priori photographique.
Indépendance et autonomie
Pour mener à bien cette expédition, je me suis entouré de deux potes : Vincent et Valentin. Comme on dit, “happiness is only real when shared” et, au delà de cela, c’était une question de sécurité dans cette zone reculée. Après, nous avons également mené cette expédition en totale indépendance. Cela signifie que je n’ai pas été commissionné par un office du tourisme ou un tour operator pour la réaliser. J’ai choisi moi-même mon itinéraire, mon matériel et ma manière de voyager. Vous n’êtes pas dupes. Aujourd’hui, beaucoup de blogueurs, voyagent au “frais de la princesse” et leur avis est, par nature, biaisé. Ce n’est pas le cas ici… Je pense d’ailleurs qu’aucun office du tourisme ne ferait ce genre de voyage…
L’indépendance éditoriale est une chose mais cette expédition imposait également d’être totalement autonome sur le terrain. En effet, la zone sauvage d’Hammastunturi ne dispose d’aucun sentier et tout au plus quelques cabanes le long de la rivière. Nous nous sommes approvisionnés en nourriture chez Lyophilisés & Co. Je connaissais leurs produits et je savais qu’on aurait assez de choix pour profiter de chacun de nos repas. Pour le reste, j’ai embarqué les packrafts dont je disposais dans le cadre de mon activité de guide packraft pour Cairn Outdoor. Pour ma part, j’embarquais ma tente Hilleberg acheté chez Tentes 4 Saisons, mes vêtements Fjällraven et mon sac-à-dos Osprey. Du matos que j’avais eu l’occasion de tester de fond en comble avant de me lancer dans l’aventure.
Préparation, matériel et parcours pour descendre l’Ivalojoki en packraft
Préparation
Malgré le côté “bon-enfant” de mon récit, cette aventure ne s’improvise pas. C’est la raison pour laquelle, je me suis d’ailleurs entouré de deux gars en qui j’avais confiance. Cela commence par là : choisir ses compagnons d’aventure (ou d’infortune). En effet, dans la zone sauvage d’Hammastunturi, il n’y a pas de réseau, pas de sentier. Dès lors, tout accident peut vite prendre des proportions importantes. Même si le propre d’une aventure est de faire face à l’imprévu, cela n’empêche pas d’être préparé avant de s’aventurer dans l’inconnu.
Au delà d’un minimum d’expérience en packraft, cela nécessite une capacité d’orientation indéniable. Le GPS (y compris de randonnée) montrera rapidement ses limites et vous devrez inévitablement prendre la carte. En outre, il faut une excellente condition physique : porter des sacs de 30kg à travers tout mettra vos jambes (et vos nerfs) à rude épreuve. Enfin, l’isolement nécessite de pouvoir conserver son sang froid à chaque instant !
Avant de vous lancer là haut au milieu de nulle part, forgez votre expérience sur des GR ou sentiers connus et disposant d’infrastructures (GR20, Tour du Mont Blanc, Kungsleden,)…
Matériel
Pour cette aventure dans la zone sauvage d’Hammastunturi et pour descendre l’Ivalojoki en packraft, le matériel est très important. En effet, vous serez isolé tout au long de votre aventure. Cela nécessite donc un matériel éprouvé et de qualité. Le choix du matériel est évidemment personnel et dépend de chacun. En effet, nous n’avons pas tous les mêmes exigences en matière de confort ou de légèreté. Personnellement, connaissant bien la Scandinavie, je préconise du solide plutôt que du léger. Nous avons eu de la chance mais pour le même prix, nous aurions pu avoir de la pluie, du vent et même de la neige (que nous aurons d’ailleurs quelques jours plus tard).
Bivouac
Randonnée
- Chaussure : Salomon Quest 4D 3 GTX
- Pantalon : Fjällraven Vidda Pro
- Veste isolante : Fjällraven Skogsö padded
- Veste imperméable : Cimalp Advanced
- Surpantalon imperméable : Cimalp Advanced
Packraft
(Via Cairn Outdoor, je revends les marques Nortik et Kokopelli. N’hésitez pas à prendre contact avec moi)
Parcours
Une des particularités du blog est de systématiquement vous proposer un parcours. Cela fait partie de mon ADN depuis le début. Pourtant, ici, je vais déroger à cette règle. Je sais que cela va en frustrer plus d’un mais la beauté de cette aventure était de partir dans l’inconnu. Il y a quelques choses de magiques à choisir sa route, son chemin dans cette immensité sauvage. Vous donner exactement la trace que j’ai faite enlèverait une grande partie du charme de cette aventure. Par contre, il va de soi que je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions si vous souhaitiez vous lancer dans une aventure de ce type.
Un homme libre, c’est quelqu’un qui choisit, peut-être, son itinéraire. Comme quand tu es en montagne, tu sais, tu choisis ta trace. Et bien, un homme libre, c’est un homme qui choisit son itinéraire dans sa vie (…). Être libre, c’est de pouvoir choisir, voilà ! Et ça, c’est important.
– Stéphane Brosse, “A Fine Line” de Kilian Jornet
Un récit palpitant, enivrant et exaltant… Et c’est justement parce que tu nous emmènes avec toi revivre ton aventure à travers cet “article fleuve de plus de 5000 mots” qu’on en ressent autant d’émotions. Beaucoup rêveraient de vivre une telle aventure mais ne pourront pas physiquement ou n’auront jamais l’occasion. La force de ce voyage est qu’il est unique et le restera. Le parcours, hors des sentiers, et les épreuves surmontées ne font qu’amplifier les émotions et les images, déjà magnifiques, qui restent gravées…
J’ai une pointe de jalousie en lisant ton récit (une pointe car je ne serais jamais capable de réaliser tout ça) et ça me replonge dans des souvenirs assez lointains et des émotions vécues en voyage que j’aimerais retrouver, comme lorsqu’en Islande, loin de tout dans une vallée isolée des Hautes Terres, la musique de Sólstafir résonnait dans ma tête en regardant le glacier baigné de lumière…
Petite question sinon : sur les trois premiers jours à pied, étiez-vous autonome en eau, ou avez-vous trouvé des cours d’eau ? Je sais que l’approvisionnement en eau en Scandinavie n’est pas vraiment un problème mais tu n’en parles pas, et cela conditionne le tracé…
Merci beaucoup Sophie ! Ton commentaire me fait très plaisir 😀 Effectivement, au niveau de l’eau, cela n’a pas posé beaucoup de soucis. J’avais analysé le tracé pour ne jamais être trop loin d’une source d’eau mais, comme tu dis, ce n’est pas vraiment un soucis en Scandinavie :). En plus, quel plaisir de pouvoir boire de l’eau sans avoir besoin de filtre 😀
[…] du Phoenix with Ivalojoki with a packraftTravelboulevard with Danakil depressionSoms ook Heimwee with Tenerife, a very special […]