Il y a parfois des moments inattendus, des moments de grâce arrachés à un quotidien chamboulé, il y a des moments où l’on se prend à rêver, à pleureur et à sourire. Il y a des moments qui sont un condensé de vie. Ce lever de soleil sur les Tre Cime était un de ces moments. Il a fallu s’arracher à la nuit pour s’engouffrer dans l’obscurité mais cet instant au sommet fut l’un de mes plus beaux souvenirs de 2023 et j’avais envie de vous le raconter.
Les Dolomites en hiver
En 2017, je découvrais les Dolomites, ces montagnes si délicates que l’on dirait une dentelle de pierre. J’avais été subjugué par les couleurs d’automnes, la magnificence de ces sommets et la théâtralité de ces alpages. Les Dolomites sont, à mes yeux, parmi les plus belles montagnes du monde. Il y plane une langueur nostalgique qui, alliée aux lumières subjuguantes, en font une terre de rêve entre le ciel et la terre. Un hiatus où l’homme peut s’élever sans avoir besoin d’ailes. Un coeur où bat la plus belle des ascèses : l’alpinisme. Enfin, une promesse d’un dépassement de soi, d’une élévation de l’esprit
Les Dolomites sont plus que des montagnes, c’est une présence quasi divine pour nous rappeler que le paradis existe.
Dans le cadre de l’Explore Camp de As Asventure (en partenariat avec Süd Tyrol), j’ai eu l’opportunité de découvrir les Dolomites en hiver : du chien de traineau, au raquette en passant par des découvertes culinaires et patrimoniales. Parmi toutes ces expériences, l’ascension du Helltaler Schlechten (Große Pyramide), un sommet situé au dessus de l’Alpage Prato Piazza (Plätzwiese) pour observer le lever de soleil sur les Tre Cime est sans doute celle qui restera gravé dans ma mémoire pour toute la symbolique qu’elle représentait à mes yeux.
Pour une lecture encore plus immersive de cet article, je te conseille d’écouter ceci :
Lever de soleil sur les Tre Cime en hiver
S’engouffrer dans la nuit
Il est 5h lorsque nous sortons de l’hôtel d’altitude Hohe Gaisl situé à 2000m d’altitude. La neige, le froid et l’obscurité étouffent tous les sons. Se lever avant l’aurore possède un charme. Il contient les prémisses du jour et anticipe sa totale appréhension. Les mots sont comptés, les gestes mesurés, les carcasses se confrontent au froid et au silence. Ce moment contient les prémisses du jour et l’impatience qui en découle. L’homme est hâtif. Pourtant, en montagne, la patience se matérialise en approche. Plutôt qu’attendre que le rideau se lève, on avance !
Raquettes aux pieds, nous attaquons l’ascension vers le Helltaler Schlechten (Große Pyramide) à 2711m d’altitude. L’obscurité est totale. Le monde se limite alors aux quelques mètres éclairés par notre frontale. Il n’y a pas de vent et seul le craquement de la neige vient briser le silence. Cette première partie de l’ascension est, je trouve, relativement anxiogène. Il n’y a pas un bruit, pas une lueur. Seules les personnes devant moi me permettent d’appréhender le dénivelé. J’ai l’impression d’évoluer dans un “black-out” total où le halètement de mes camarades vient rompre le silence absolu qui règne.
Alors que nous prenons de l’altitude, une infime lumière commence à dessiner les sommets autour. Puis, cette lueur esquisse nos ombres. Le vent se lève et amène les couleurs du matin, de plus en plus intenses.
Contempler le lever de soleil sur les Tre Cime
Au loin, les Tre Cime s’offre comme le candélabre de cette nouvelle journée. Ils s’enflamment. La montagne est une catharsis. On pense alors à tout ce qui fut, à tout ce qui sera. On devient philosophe. Les larmes coulent. On mesure la chance que l’on a d’être là, précisément là. Sur ce sommet, au lever du soleil. Alors, on célèbre tout ce qui nous est cher. L’aurore ne laisse de place que pour le beau, le sage et l’éclatant. L’obscurité est restée dans la vallée à l’ombre des sommets. L’ascension devient une célébration, une ode à la vie et à la mort. Car, comme le disait Reinhold Messner : “La montagne n’est ni juste ou injuste. Elle est dangereuse”.
La montagne soigne (lyfjaberg)… Elle guérit et célèbre ce qui nous rend fort. Le fardeau s’allège mais la route reste longue. La vie s’intensifie et s’enrichit de cet instant. Un jour, nous rejoindrons le néant avec cet éclat à jamais brillant.
Il y a des matins plus précieux que d’autres… Là haut, au cœur des Dolomites, observant le lever de soleil, je ne peux m’empêcher de penser à ceux disparus cette année, à la chance que j’ai de pouvoir vivre ce genre de moment, pour eux, à travers moi et pour toujours m’en souvenir. On se souvient des être aimés et on abhorre la médiocrité. Embrassons les souvenirs partagés, créons de nouvelles aventure avec eux à nos côtés… Finalement, lorsque l’on vit un tel moment, atteindre le sommet paraît tellement dérisoire mais il convenait de respecter la montagne, ce Helltaler Schlechten.
Redescendre sur terre
En quelques instants, la lumière d’or change pour le rose, le pourpre… Je peux alors contempler mon second “Alpenglow” du voyage. Ce phénomène optique apparaît à l’instant précis où le soleil passe sous la ligne de l’horizon. Le ciel opposé prend alors des couleurs rouges-roses. Cet instant est fugace mais la densité du ciel est simplement incroyable, le contraste avec la neige ne fait qu’accentuer encore le phénomène. Puis en quelques secondes, les couleurs pâlissent et les montagnes se parent d’un albâtre infini. Il faut descendre.
Ce lever de soleil aurait pu ressembler à n’importe quel autre mais j’y ai emmené des âmes, des pensées, des murmures que j’ai laissé s’échapper là haut, dans le hiatus entre la ligne d’horizon et l’aurore. À jamais…
Faisant face aux Tre Cime, nous pouvons les contempler durant toute la descente. Le vent mordant nous presse de telle sorte qu’on avale rapidement le dénivelé négatif. Je me surprends à courir avec mes raquettes à certains moments afin de me réchauffer. Il n’y a que 700m de dénivelé. Du coup, il ne faut pas plus d’une heure pour arriver à l’hôtel pour un petit-déjeuner gargantuesque. Quelle étrange sensation que d’être assis au chaud alors que je viens de vivre un moment précieux, rare, unique. Ces quelques heures à danser avec l’aurore m’auront rapproché d’une forme de transcendance pour laquelle je n’arrive pas encore à poser le mot juste. Cela restera ainsi. Merci .
Parcours – Ascension du Helltaler Schlechten
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PHOTOS AERIENNES / IGN
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