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    Observer les boeufs musqués en Norvège

    Si j’avais bien un rêve, c’était d’observer les boeufs musqués en Norvège. Je l’ai réalisé lors d’un voyage dans la région des parcs en 2023. La recherche, l’approche et l’observation de ces animaux de l’ère glaciaire ont été les ingrédients d’une journée inoubliable dans une des régions les plus sauvages de Norvège : le parc national de Dovrefjell-Sunndalsfjella.


    Le Parc national de Dovrefjell-Sunndalsfjella : une terre de contrastes

    Le parc national de Dovrefjell-Sunndalsfjella a été créé en 2002 sur les cendres du Parc national de Dovrefjell créé en 1974. Il s’étend sur environ 1 830 km², offrant un mélange unique de tourbière, de toundra arctique, de vallées glacières et de montagnes. C’est l’un des derniers espaces véritablement sauvages de Norvège. En effet outre les boeufs musqués, le parc accueille une des dernières populations de rennes sauvages de Norvège, le glouton, l’aigle royale ainsi que le renard arctique, qui fait l’objet d’un programme de réintroduction depuis 2010. Le Dovrefjell peut, à certains points de vue, ressembler aux paysages du Groenland ou du Yukon, avec ses vastes étendues ouvertes.

    Le Dovrefjell, où souffle l’énergie du sauvage, pur et sans entrave ; Venu du fond des âges pour rappeler à l’homme qu’il n’est rien face aux mains qui ont façonné ce paysage.

    Pourtant, le parc national Dovrefjell-Sunndalsfjella est aussi un lieu bercé par l’Histoire. En effet, la célèbre chemin de pèlerinage de Saint Olaf reliant Oslo à Trondheim traverse le massif. Une des plus célèbres légendes raconte également que c’est dans le Dovrefjell que le jeune Harald Fairhair fut entraîné par un troll et trouva le courage d’unifier la Norvège. Enfin, le parc se divise à l’Ouest par une région montagneuse, constituée de vallées profondes et de nombreux lacs tandis et à l’Est par des paysages de tundra, désolés et immenses.

    Parc national du Dovrefjell

    Les bœufs musqués : un vestige de l’ère glaciaire

    Un survivant du Pléistocène

    Le bœuf musqué (Ovibos moschatus) est une espèce qui a traversé des millénaires sans pratiquement évoluer. Cette espèce aussi étrange que fascinante a foulé les mêmes terres que les mammouths laineux et les rhinocéros de Sibérie, s’adaptant aux climats les plus rudes depuis plus de 100 000 ans. Autrefois, on trouvait ces grands herbivores à travers toute l’Amérique du Nord et l’Eurasie, de la France aux confins du Canada. Cependant, avec la fin de la dernière ère glaciaire, ils ont disparu d’Europe, victimes du changement climatique et de la pression humaine. Ils survécurent exclusivement dans les contrées les plus septentrionales du Canada et du Groenland. Depuis, ils ont fait l’objet de réintroduction en Alaska, en Russie, en Suède et dans le Dovrefjell.

    Ni un boeuf, ni un musqué mais taillé pour le froid

    Malgré son nom, le boeuf musqué n’est ni un boeuf, ni un musqué. En effet, il appartient à la famille des caprins (Bovidae, Caprinae) comme la chèvre ou encore le mouflon. De plus, il ne produit pas de musc bien que bien que l’odeur des mâles soit très forte en période de reproduction. Cette odeur provient de sécrétions produites par des glandes préorbitales que les individus, surtout mâles, se frottent sur le corps.

    Là où le boeuf musqué est un champion hors catégorie est dans sa résistance au froid. En effet, son pelage est un des plus isolants du règne animal et est constitué de deux couches. La première, appelé qiviut, est un sous-poil extra fin 8 fois plus isolant que la laine de mouton. La seconde est constituée de poils longs et denses les protégeant des éléments. De plus, il possède un métabolisme extrêmement lent lui permettant d’économiser son énergie. Cependant, comme le mammouth, il ne possède pas de glandes sébacées. Cela le rend extrêmement vulnérable à l’humidité, accentuée par le dérèglement climatique.

    L’histoire d’une réintroduction en Norvège

    Pourquoi réintroduire du boeuf musqué sur le Plateau du Fovrefjell ? La question est pertinente et mérite d’être posée. La légitimation de cette réintroduction du boeuf musqué en Norvège repose sur la découverte de fossiles datés entre 40 000 et 100 000 ans dans le Dovrefjell.

    Dès lors, la première tentative a lieu dans les années 10 et 20 mais elles se soldent par un échec sans doute dû au braconnage et à une mauvaise adaptation des individus réintroduits. Une seconde tentative a lieu entre 1932 et 1938 avec des specimens venus du Groenland. C’est un succès mais la population se fait presque exterminée durant la Seconde Guerre mondiale par les soldats allemands stationnés dans la région. Il faut alors attendre les années 50 à 70 pour avoir une nouvelle vague de réintroduction qui mènera à stabiliser et pérenniser la population de boeufs musqués en Norvège.

    Aujourd’hui, environ 260 boeufs musqués vivent au sein du parc national Dovrefjell-Sunndalsfjella. Ce nombre n’a jamais été aussi élevé et prouve le succès de cette réintroduction.

    Observer les boeufs musqués en Norvège : mon expérience

    Une quête du sauvage

    Nous avons abandonné le sauvage à coup de rationalité, de productivité et de rentabilité. Il a disparu de nos vies en même temps que l’humanisme a sombré dans l’obscurantisme. Aujourd’hui, rechercher le sauvage, ce n’est pas tant partir en quête de ce qui a disparu mais plutôt de ce qu’il reste à sauver. À mes yeux, c’est en vivant en contact de la nature sauvage que l’homme retrouve son intégrité. Dès lors, je suis convaincu que l’humanité ne pourra survivre qu’en développant sa capacité à comprendre et préserver le sauvage. Ce n’est pas pour rien que les boeufs musqués nous fascinent tant. Ils sont parmi les derniers représentants du monde d’avant l’anthropocène et c’est pour cette raison que j’étais irrémédiablement attiré par eux.

    La nature sauvage nous fascine intrinsèquement car elle nous impose une beauté brute sans artifice, là où nous ne sommes plus capables d’exposer que de pâles copies de nous-mêmes.

    En septembre 2023, après avoir vécu avec des amis une nuit en cabane en bordure du glacier d’Ålfotbreen et un bivouac au pied du glacier Jostedalsbreen, il nous reste un peu de temps pour réaliser mon rêve : tenter d’approcher et photographier ces animaux préhistoriques. Après avoir passé la nuit à proximité du parc national du Dovrefjell, nous rejoignons le plateau dès les premières lueurs de l’aube. Cette étendue infinie et déserte exprime déjà à elle-seule le sentiment de sauvagerie qui y règne. L’immensité, le silence et la météo typiquement norvégienne nous accueille dans un paysage enflammé par les couleurs de l’automne.

    Parc national du Dovredjell
    Parc national du Dovrefjell
    Parc national du Dovrefjell

    En quête des boeufs musqués

    Je n’avais qu’une idée approximative de leur localisation. Je connaissais juste un secteur du Parc national du Dovrefjell où ils étaient fréquemment observés sans pour autant avoir une certitude absolue. C’est très bien comme cela. L’affût de ces animaux doit se faire dans le respect et la beauté de l’inconnu. On ne consomme pas le sauvage, on s’y invite humblement. Soit, l’on est accueilli, soit l’on est voué à l’errance. Dans un cas comme dans l’autre, j’y trouverai un ravissement absolu : celui de vivre cette immersion, là sur ce plateau battu par les vents ; l’une des dernières parenthèses de nature sauvage européenne.

    Bien que le ciel soit menaçant, il y a une percée presque divine qui enflamme les bouleaux dans leur parure d’automne. J’avais l’impression d’ouvrir un trésor en pleine tempête, presqu’ébloui par l’or jaillissant. Malgré le vent, cette lumière nous réchauffait tandis que nous avancions à travers le plateau à la recherche des boeufs musqués. En cette période, ils ne sont pas facile à débusquer. En effet, leur pelage brun les fond dans la masse automnale des montagnes. Pourtant, au loin, j’aperçois un autre groupe de marcheur qui se met soudainement à accélérer. J’empoigne mon appareil photo et scrute l’horizon dans leur direction. Puis, une tache, une seconde puis un amas.

    Ils sont là, couchés au sommet d’une colline balayé par les vents, balayé par le temps. Eux, reliques de l’époque glaciaire, vestige d’un ailleurs où l’homme n’était qu’une espèce survivante, parmi d’autres. Anonyme, inoffensive, silencieuse.

    Parc national du Dovrefjell
    Boeufs musqués en Norvège dans le Dovrefjell
    Boeufs musqués en Norvège dans le Dovrefjell

    L’observation des boeufs musqués

    Nous pressons le pas afin de nous rapprocher. Les boeufs musqués sont couchés. Un frisson me parcourt l’échine. Il y a une forme d’excitation de les avoir débusqués dans l’immensité mêlé au respect infini de pouvoir les contempler, eux les résistants du temps. Nous rejoignons un groupe de photographes tapis dans les camarines, ces petites baies noires ressemblant à des myrtilles. Rapidement, sous la force et le froid du vent, nous ne tardons pas à nous allonger. Le groupe de boeufs musqués, quant à lui, l’a bien compris. Il est préférable de rester le plus proche du sol pour éviter les affres des éléments.

    Nous attendons encore et encore que l’un d’entre eux se lève et dévoile son entière majesté, mais rien. Ils restent blottis à terre. Nous sommes là depuis bientôt 3 heures. Je réalise que la recette du bonheur se trouve précisément ici : engoncé dans ma veste, couché à même le sol, face à ces ce spectacle préhistorique, l’oeil rivé sur l’objectif. On a trop tendance à ériger le bonheur dans des artifices alors qu’il se trouve simplement en dehors de notre zone de confort. Le bonheur ne peut se mesurer qu’à l’aune de la dureté de la vie. Voir ces mêmes animaux derrière les barreaux d’un parc animalier n’aurait été qu’un luxe sans saveur. Alors qu’ici, nous savourons chacun de leur mouvement.

    Après ces longues heures dans le vent, nous sommes désormais seuls sur le plateau. Il n’y a plus personne. Nous pouvons alors profiter de ce face-à-face unique. Il fait glacial mais nous ne pouvons nous résoudre à les quitter des yeux, alors nous persistons, jouant à cache-cache entre les buttes et les frêles bouleaux. Puis, après ces longs instants privilégiés, le troupeau s’éloigne et nous comprenons qu’il est temps de retourner à la civilisation.

    Après de longues heures dans le froid, ces résistants des temps ont daigné se mouvoir pour notre plus grand ravissement. Le mâle et sa couronne de cornes emmène avec lui l’ensemble du troupeau dans un ballet mesuré et posé par le poids d’un passé de près de 500 000 ans.

    Homme observant les boeufs musqués en Norvège
    Boeufs musqués en Norvège
    Boeufs musqués en Norvège

    Comment observer les boeufs musqués en sécurité et respectueusement

    Observer un bœuf musqué en liberté dans les plateaux battus par le vent du Dovrefjell est une expérience inoubliable. Mais elle exige humilité, patience… et une conscience aiguë du vivant. En effet, malgré son allure paisible, le bœuf musqué reste un animal sauvage, territorial et puissant, capable de défendre les siens. Je vous donne donc quelques repères essentiels pour une observation respectueuse, et authentique :

    La règle des 200 mètres

    La règle des 200 mètres n’est pas une simple recommandation de sécurité, c’est une exigence éthique. En dessous de cette distance, le bœuf musqué peut se sentir menacé et charger. Au delà des conséquences évidentes pour l’humain, ce sont surtout celles, délétères, pour l’animal qu’il faut prendre en compte. La charge manifeste un niveau élevé de stress qui peut altérer durablement son comportement. Dès lors, rester à 200m est non seulement un comportement de sécurité pour vous mais de profond respect pour l’animal.

    Comprendre le comportement du boeuf musqué pour mieux le respecter

    Le bœuf musqué vit en petits groupes familiaux. C’est un animal passible, mais hautement vigilant. Lorsqu’il vous repère, il vous observe. Et si vous insistez, il vous avertit. Voici quelques signes avant-coureurs de stress :

    • Arrêt net de l’activité et fixation du regard
    • Grattement du sol avec les pattes avant
    • Mouvement de tête brusque ou grondement sourd

    À ce stade, il est impératif de se retirer lentement, sans geste brusque ni cri. L’objectif n’est pas de fuir, mais de désamorcer la tension en reprenant de la distance.

    Observer sans déranger : le matériel adapté

    L’observation à distance est non seulement plus sûre, mais souvent plus riche et plus longue : l’animal, non dérangé, continue sa vie. Pour cela, équipez-vous :

    • D’un téléobjectif (300 mm ou plus) pour la photo
    • De jumelles de qualité pour repérer les silhouettes à flanc de colline ou sur les plateaux
    • De vêtements sobres, silencieux, aux teintes naturelles (vert mousse, gris, brun)
    • Et surtout, de chaussures adaptées, car le terrain est souvent humide, spongieux ou rocheux

    En toute saison, prévois des couches chaudes. Le Dovrefjell n’est pas tendre avec les téméraires en T-shirt, même en juillet.

    Où observer les boeufs musqués dans le parc national du Dovrefjell ?

    Même si ce n’est pas une garantie et que les boeufs musqués sont observables dans toute la partie Est du Dovrefjell, Le secteur de Kongsvoll, situé le long de la mythique E6 entre Oppdal et Dombås, constitue le point de départ le plus populaire pour l’observation. Depuis la gare de Kongsvoll, un sentier balisé remonte la vallée de Stroplsjødalen. C’est l’un des spots les plus fiables pour croiser un groupe de bœufs musqués, surtout entre juin et septembre.

    Une rencontre qui se mérite

    Partir en quête des boeufs musqués, c’est s’insérer dans un monde où l’humain n’est qu’un invité discret. Ce n’est pas un safari. Ce n’est pas un trophée. C’est une présence. Fugace, massive, bouleversante. La sécurité passe donc par le respect absolu de l’animal, du territoire, et du rythme de la nature. Si vous n’êtes pas sûrs de vous, n’oubliez pas que des observations guidées sont organisées par des guides locaux. C’est peut-être la manière la plus certaine de les observer.

    Parc national du Dovrefjell
    Julien
    Julienhttps://www.sentiersduphoenix.be
    Je m'appelle Julien, j'ai 36 ans. Je suis passionné d'aventures, de nature et de sports outdoor. Mon blog "Sentiers du Phoenix" est un peu comme mon feu de camps permanent autour duquel je te partage toute ma passion pour l’Aventure, le Trail et la vie en pleine nature. On part ensemble à l'aventure ?

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