Depuis l’Ivalajoki en 2010, je ne rêvais que d’une chose : retourner en Laponie pour une expédition en packraft. Mon choix s’est porté sur la rivière Kaïtum, inconnue de la plupart, qui prend sa source dans les montagnes du Nord de la Suède. Le seul moyen d’y accéder ? Le célèbre Kungsleden. Cette expédition en packraft en laponie suédoise consistera donc à marcher environ 100km sur le Kungsleden pour atteindre la rivière pour, ensuite, descendre cette dernière jusqu’au hameau de Kaïtum 100km plus loin. Entre les deux, des étendues d’eau à perte de vue, une nature totalement sauvage et des rapides à faire pâlir n’importe quel packrafteur.
- Expédition en packraft en Laponie suédoise : récit de 5 jours le long du Kungsleden et de la rivière Kaïtum
- Jour 1 : S’enfoncer en pleine nature (27km et 700D+)
- Jour 2 : Langueur monotone des vallées laponnes (19km et 450D+)
- Jour 3 : Le combat du soleil (24km et 500D+)
- Jour 4 : L’épopée dans l’aventure (18km et 300D+ & 19km de packraft)
- Jour 5 : Horizon infini (26,69 km de packraft)
- Jour 6 : Les rapides de tous les dangers (26,48km de packraft)
- Jour 7 : retour à la civilisation (25,57km de packraft)
- Vidéo “Kaïtum. Une aventure à la belge”
- Matériel et parcours de cette expédition packraft en Laponie suédoise
- Parcours – Expédition en packraft en Laponie suédoise sur le Kungsleden et la rivière Kaïtum
- Parcours – Expédition en packraft en Laponie suédoise sur le Kungsleden et la rivière Kaïtum
Pour une lecture encore plus immersive, je vous conseille d’enclencher cette petite mélodie forestière.
Expédition en packraft en Laponie suédoise : récit de 5 jours le long du Kungsleden et de la rivière Kaïtum
Jour 1 : S’enfoncer en pleine nature (27km et 700D+)
Premier pas sur le Kungsleden
Après une première nuit à Kiruna, nous prenons le bus le lendemain en direction d’Abisko et du départ du célèbre Kungsleden, ce sentier de 425km qui relie Hemavan à Abisko. Durant cette aventure en Laponie suédoise, nous en parcourrons les 100 premiers kilomètres pour atteindre la rivière Kaïtum que nous descendrons en packraft sur 100km également. Pour cette expédition, nous sommes quatre : Gaëtan, Fred, Sylvain et moi. Notre point commun ? Être guide pour l’agence Cairn Outdoor que j’ai créée en 2020. Cette expédition, en plus d’être une aventure, sera sans doute le Team Building les plus engagé que je connaîtrai mais sans aucun doute l’une des plus riches éprouvantes aventure tant physiquement et mentalement. L’idée nous a été inspiré par des belges qui ont fait la même aventure, il y a 4 ans.
Nous sommes le 7 septembre 2021. Nous faisons aussi nos premiers pas sur le célèbre Kungsleden en franchissant le portail de bois et entamons notre lente progression jusqu’à la rivière Kaïtum. Là, à Abisko, au coeur de la Laponie suédoise, nous nous apprêtons à vivre une aventure à nul autre pareil. Nous ne savons pas ce qui nous attend, nous avons une vague idée de la météo qui se profile et, surtout surtout, la rivière Kaïtum nous apparaît tout aussi mystérieuse. Que nous réserve-t-elle ? Finalement, c’est ce que nous sommes exactement venu chercher ici : l’inconnu et la liberté. Après deux ans de pandémie, cette aventure sera mon antidote à tous les maux car ici la bêtise humaine n’a pas cours.
L’inconnu, l’incertitude et le silence ont été chassés de nos sociétés, apeurées par le sauvage et le vide. Nous sommes au coeur de cette nature immense pour goûter aux derniers souffles de liberté !
Approche à travers les bouleaux
Une chose est certaine, la Laponie suédoise met directement les choses au clair. Nous savions que cette expédition ne serait pas évidente mais, comme souvent, les attentes sont souvent sous-estimées. Le poids des sacs oscille entre 26 et 30kg, chaque difficulté sur le chemin prend, dès lors, des proportions insoupçonnées. Cette première matinée ne sera sans doute pas la plus intéressante de notre aventure. En effet, elle longe une rivière au travers d’une forêt de bouleaux rachitiques qui n’ont pas encore totalement pris leurs couleurs d’automne. Puis progressivement, les premiers dénivelés font leur apparition et nous confrontent à l’évidence : nos sacs seront un fardeaux pour les prochains jours. De plus, L’automne s’installe sur la Laponie suédoise et, avec lui, une météo changeante et exigeante qui mettra rapidement nos organismes à rude épreuve.
Il n’y a plus de réseaux et nous n’avons qu’une seule chose à faire : avancer. Nous sommes engagés qu’importe le vent, qu’importe la pluie, qu’importe nos faiblesse.
À midi, nous posons nos sacs juste le temps d’engloutir nos lyophilisés. Je prends mon téléphone en main. Ça y est ! Il n’y a plus de réseaux. Nous sommes enfin libres. L’Aventure peut commencer. Désormais, nous n’avons qu’une seule chose à faire : avancer. Nous sommes engagés qu’importe le vent, qu’importe la pluie, qu’importe nos faiblesses. Au loin, la montagne nous toise. Elle attend patiemment que nous brûlions nos premières cartouches sur le sentier avant de nous imposer son dénivelé. En ce début d’après-midi, alors que le froid et la pluie s’intensifient, les sacs deviennent instantanément une véritable torture dès les premiers mètres de dénivelé : ils nous lacèrent littéralement le corps.
Côte infinie
Depuis le matin, je retrouve la douce monotonie de la toundra. Je n’avais plus pu fouler ces territoires exigeants depuis ma dernière expédition en packraft sur l’Ivalojoki en Laponie finlandaise. Sa rude beauté et son impétueuse météo m’avaient manqué. Cependant, sous la pluie, avec les sacs, le froid et l’horizon bouché par les bouleaux, nos carcasses se questionnent surtout sur la pertinence de notre présence… Pourquoi partir avec des sacs trop lourds, dans un pays à la météo incertaine et dans un endroit aussi reculé ? Finalement, l’acceptation de la douleur et de la difficulté serait-elle une voie d’accès à la félicité ?
Au loin, les premiers contreforts apparaissent. La première côte fixe le niveau : une côte de plusieurs kilomètres avec une succession de coups de cul. Je m’enferme dans ma bulle. C’est fou comme les capuches de nos vestes peuvent nous isoler des uns des autres alors que nous marchons côte à côte. Isolé par le frottement du tissu sur les tympans, on se met à divaguer dans notre petit espace sec. La monotonie de nos pas scandent notre lente ascension. Chaque pas est une lente torture. L’ascension durera presque deux heures. Deux heures de souffrance. Une certitude : rien ne ressemble plus à un caillou lapon qu’un autre caillou lapon !
Les mains croisées sur les bretelles du sac pour soulager les épaules, la langueur de nos pas prend des airs d’une lente litanie.
En quête du shelter caché
Arrivé au sommet, la pluie assombrit les sommets bordant l’horizon tandis qu’un soleil nous baigne d’une lumière irradiante, le contraste arctique dans toute sa splendeur. À la rencontre de l’ombre et de la lumière, aux confins des latitudes, là haut, au coeur de la Laponie, nous prenons conscience de l’inanité humaine. Il n’y a rien de plus forts que les éléments. Nous courbons l’échine, opinons et continuons notre lente avancée tandis que le rideau de pluie met un terme à nos pensées divergentes. À l’approche d’un village sami, la pluie s’intensifie. Pourtant, il faut avancer. Coute que coute ! Alors, nous nous renfrognons encore davantage sous nos capuches. Nous sommes fin d’après-midi et bien trempés. Je lis tout le désespoir du monde dans les yeux de mes camarades.
À ce moment précis, j’aperçois un shelter sur la carte. Il est encore loin mais atteignable avant la nuit. La perspective d’une nuit au sec nous motive. Go ! On file. La pluie nous avale dans son déchaînement. Le froid devient aussi perçant que l’humidité ! Les pieds deviennent douloureux, surtout pour Sylvain. La cabane se laisse désirer. Bon sang ! Où est-elle ? Ça monte, ça descend, on patauge. Une rafale de vent, un frisson, il faut continuer. Le ciel s’obscurcit de plus en plus puis, elle apparaît, minuscule et solitaire dans cette vallée infinie. Gaëtan et moi prenons les devant pour préparer le feu et réchauffer nos carcasses déjà bien amochées après les premiers 27km et 700D+ sur le Kungsleden. On ouvre la porte, elle est libre. Un feu, un lyophilisé et des vêtements secs. Ce soir, nous sommes les rois et notre royaume s’agrandit déjà de souvenirs impérissables.
Comment ne pas penser au Rohan voir au Mordor quand on se retrouve au milieu d’un tel paysage ?
Jour 2 : Langueur monotone des vallées laponnes (19km et 450D+)
Réveil dans le refuge
La nuit dans le shelter fut salutaire. Sécher ses vêtements et dormir au chaud est sans doute la chose la plus exquise que l’on pouvait demander. Au coin du feu, nous avons savouré nos lyophilisés comme si nous étions à ces banquets que seules les épopées de jadis narrent encore. Les craquements de la cabane me rappelaient ceux d’un vieux gréement affrontant le creux des vagues. À la lueur de nos lampes torches dans cette carcasse de bois, nous avons tenté de veiller mais la fatigue nous a rappeler à l’ordre. Fièrement, notre abri aura encaissé les assauts du vent et de la pluie toute la nuit.
La cabane devient un navire sur lequel s’échouent les vagues des éléments déchaînés.
Le lendemain, le calme règne. Je suis le premier à sortir et une chose étrange se produit. Mon visage n’est plus giflé par le vent et la pluie. Je lève les yeux aux ciels. Que vois-je ? Une lueur ! Le soleil ! Ce dernier déchire le ciel et baigne la vallée et les montagnes d’une lumière dorée, le souffle de l’automne. Je prends un instant pour écarter les bras et sentir la maigre chaleur du soleil sur mon visage. Une fois rentré, on engloutit notre petit déjeuner et nous nous arrachons au confort spartiate de la cabane. Nous n’avons pas le choix que de nous arracher à la chaleur réconfortante du poêle, il faut continuer de progresser. D’ailleurs, un arc-en-ciel accueille nos premiers pas sur le sentier.
À l’horizon, j’y ai trouvé la révolution des sacs-à-dos
Persuadé que cet arc-en-ciel était le héraut d’une journée ensoleillée, j’ai du rapidement déchanter. Le matin en pleine nature apportera toujours plus d’espérances qu’un matin cloisonné entre les murs bétonnés d’une ville. Il y a une forme de célébration qui nous exhorte à changer le monde. Tout semble si simple à combattre. Du mauvais temps ? Enfilons une veste ! Du froid ? Enfilons une polaire supplémentaire. La révolution des sacs à dos de Kérouac n’est pas un mythe. Les difficultés de la journée ne sont qu’une société qu’il convient de renverser à coup de kilomètres. Nous repoussons l’horizon et prenons le pouvoir. Nous sommes les rois du monde. Vanité ? Vous pourriez le penser. Pourtant, nous possédons quelque chose plus riche que l’or (comme dirait Tesson) : le temps. Nous en disposons comme bon nous semble. Chacun évolue avec sa propre temporalité.
Au coeur de ces montagnes, nos pas repoussent l’horizon vers l’infini et nous donne la maîtrise du temps : notre rythme en vient à scander l’univers.
Est-ce cette temporalité magique ? Mais, les pluies nous évitent (pour un temps au moins). Ces dernières drapent les montagnes lointaines d’un linceul obscur. Puis, comme pour nous narguer, le soleil fait de nouveau son apparition. En réalité, il jouera à cache-cache toute la journée et invitera de temps à autre le vent et la pluie dans la danse. Alors, nous mettons un pied devant l’autre, nous baissons les yeux comme si nous étions honteux de ne pas embrasser cette météo. Battus par les vents, giflés par les averses, nous avançons encore et encore sur ce sentier du Kungsleden… Nous possédons le temps mais pas la météo ! Nous longeons une petite rivière glacière d’un bleu profond. Cette beauté égaie la langueur de ce sentier. Vivement la pause de midi !
Un jour sans fin
Les sacs sont toujours aussi douloureux et la journée d’hier a laissé des traces. Sylvain et moi avons les hanches presqu’à sang. Personnellement, je ne sais pas comment mettre mon sac pour éviter la douleur. Les maigres pauses ne nous soulagent pratiquement pas. Celle de midi au refuge de Tjäktjastugan ne fut qu’une maigre consolation. En effet, perché au sommet d’un promontoire, le vent amenait tout le froid du Nord sur nos maigres carcasses. Transit, chacun est d’ailleurs accolé à un mur ou un caillou pour tenter de préserver sa chaleur en mangeant son lyophilisé. En route, je me force à contempler les infimes nuances du paysage afin d’oublier la douleur et avancer sur ce Kungsleden sans fin.
La frontière entre la pénitence et la salvation est ténue. Entre la douleur des sacs et l’extase face au paysage, j’en viens à la conclusion suivante : la douleur est la dîme due à la contemplation d’un tel spectacle.
L’après-midi, quant à elle, fut une longue complainte au coeur d’une morne vallée. La lumière a complètement disparu et ne laisse plus la place qu’à une terre désolée et triste qui me rappelle le Mordor. La température chute et la pluie, fine certes, recommence à tomber. On regarde les montagnes au loin et notre objectif du jour : le col de Tjäktapasset. Le raz-le-bol commence à monter au sein de l’équipe. Je reste cependant strict sur l’objectif à atteindre. Cependant, il faut rester lucide. Nous n’y arriverons jamais. Le jour décline, on plante les tentes, on mange en vitesse et on se met dans nos tentes, priant pour que demain soit plus clément et que nos corps puissent récupérer un minimum.
Jour 3 : Le combat du soleil (24km et 500D+)
Rencontre magique
Le jour se lève à peine sur le Kungsleden et j’ouvre la tente dans un crissement glacé. La température a bien chuté cette nuit. Lorsque je passe la tête à travers la tente, les sommets qui nous entourent sont saupoudrés d’une fine pellicule de neige. Au dessus de nos têtes, le soleil. Il ne s’est pas encore totalement imposé mais nous ressentons sa combativité. De notre côté, le rituel matinal se rôde. Une partie chauffe l’eau pour les lyophilisés et le café tandis que les autres commencent à démonter les tentes. Alors que nous nous affairons à remballer le camps, une silhouette émerge, un homme, un anglais, nous salue chaleureusement et crie la victoire de l’astre solaire ! Grâce à son GPS, il me confirme les prévisions météo. La journée sera la plus belle de la semaine. La suite s’annonce encore trop incertain.
Alors qu’il repart aussi soudainement qu’il n’est apparu, je lève ma kuksa à Beaivi, la divinité solaire laponne, pour qu’elle nous apporte bonne fortune dans la suite de notre aventure.
Nous levons rapidement le temps car la journée d’aujourd’hui s’annonce encore longue. Au programme, nous devons passer le deuxième col Tjäktapasset à 1150m d’altitude (le point culminant du Kungsleden) et avancer le plus possible dans la vallée qui se dessine derrière. Les sacs sur le dos, les yeux vers le col, nous sommes parés pour souffrir au coeur de ces montagnes infinies. Alors que le soleil s’impose de plus en plus, nous croisons à 10 mètres de nous un troupeau de rennes. L’instant est magique. Ces animaux nous regardent, nous toisent avec leurs grands bois. Chacun sa fierté, nous avons des sacs, ils ont une couronne. Ils sont définitivement les rois, nous baissons les yeux et continuons notre route.
Refuge balayé par les vents
Le col est atteint assez rapidement peu après midi mais avant, nous avons du franchir un pierrier interminable. Celui-ci nous accompagne jusqu’au pied de cette côte courte mais raide qui mène à la cabane du même nom. En haut, elle tient tête à la météo, seule, silhouette de sureté au sommet de ce col balayé par les vents, nous nous y abritons pour manger nos lyophilisés et nous réchauffer un peu avant d’entamer l’après-midi. Dehors, le vent fait tanguer la cabane. Le temps d’un repas, nous avons l’impression d’être dans les cales d’un navire au milieu de l’océan. Les planches craques et tout oscillent au gré des rafales. Nous sommes les échoués du col.
Cette cabane, vieille carcasse de bois, apparaît comme le temple du silence au royaume du mugissement des vents. Là haut au sommet du col, nous sommes les naufragés des temps. Perdus là haut sans réseau, nous avons acquis une pure liberté loin de tout !
Malgré le froid amené par le vent, nous ne pouvons pas nous empêcher de passer de longues minutes à contempler le spectacle se jouant devant nos yeux. Chaque infime nuance de la lumière, nous plonge dans un monde fantastique peuplés de géants et de trolls combattant les éléments, à moins que ce la ne soit pas que fantaisie ? Et nous, pauvres humains, nous ne sommes rien face à la puissance de la nature. Nous ne pouvons que constater et contempler notre quotidien pour les prochaines heures sur le Kungsleden : l’immensité et la pluie. La dualité théâtrale et épique n’a que faire de la crise sanitaire.
Aventure, théâtre grandiose sans public ni applaudissement
À peine a-t-on quitté la cabane que des frissons me parcourent l’échine. Devant nous, la vallée s’étend sur des kilomètres et des kilomètres. Au loin, les nuages drapent les sommets enneigés tandis que le soleil s’amuse à les percer plongeant ce décor dans une atmosphère dantesque. Et cette ambiance de vent, de soleil et de pluie (oui, elle est revenue) va nous accompagner pendant de nombreux kilomètres. Dans cette immensité, nous faisons du sur place. En tout cas, c’est le sentiment que nous avons. Tout est si gigantesque, les perspectives sans fin. Pourtant, à chaque seconde, la lumière change d’intensité tantôt elle perce les nuages, dessine un arc-en-ciel ou baigne la vallée d’or.
Au loin, la pluie drape les montagnes d’un rideau de théâtre. Derrière ? l’épopées des héros sans doute. Ne serait-ce pas des épées qui s’entrechoquent que nous entendons dans le lointain ?
Après avoir traversé de bout en bout la vallée, la pluie se réinvite ! Je vous jure qu’à ce moment là, j’avais envie de pleurer ! Les sacs étaient déjà un vrai fardeau et la pluie ne faisait qu’alourdir nos esprits. C’est vraiment pénible et, en même temps, il se dégage toujours, à ce moment précis, des sentiments très forts. La douleur physique et mental devient presque le tribut à payer pour profiter d’une nature aussi intacte. Heureusement pour nous, la perspective d’un nouveau shelter mettait un peu de baume au coeur. Par contre, qu’est ce qu’il a été long à atteindre ! Le pire ? On le voyait au loin et il ne se rapprochait pas. Et quand enfin, on pouvait le voir à distance humaine. Je remarque non pas une, non pas deux mais près de 8 personnes à proximité !
Prise de décision et bivouac
Après la journée que l’on venait de passer, c’est vrai que l’on espérait secrètement passer la nuit au chaud. C’est râpé ! Voyons le bon côté ! La vallée est trop belle que pour ne pas dormir dehors. On plante alors nos tentes en hauteur pour profiter du vaste horizon. Le vent se lève et balance nos corps fatiguées dans nos retranchement. Néanmoins, on réussit à se frayer une petite place dans le shelter pour manger nos lyophilisés au chaud. Alors que nous mangeons, perdus dans nos pensées ou discutant avec nos “hôtes” suédois et néerlandais, il faut que j’aborde une question qui me taraude depuis ce matin. En effet, la discussion météo avec l’anglais n’a fait que de me hanter. Si cette journée était sensée être la meilleure, que nous réservent les prochains jours ?
La météo est trop incertaine endéans les 4 jours. Une dégradation hivernale est notamment annoncée entre 2 et 4 jours. Pour des raisons de sécurité évidente, il faut profiter de la fenêtre météo favorable lorsque nous sommes sur l’eau. Problème, il reste une journée de marche avant d’atteindre le lac. Il y a donc un risque de passer un jour ou deux en packraft sous la tempête si on s’en tient au plan initial. Pas le choix, il faut doubler l’étape de demain. Toute l’équipe accueille la proposition avec compréhension. On prend donc la décision de se lever 5 heures pour enchaîner 20km de marche et j’espèreautant de packraft. Il est 20heures, le soleil se couche et nous rejoignons nos tentes pour une nuit courte mais, espérons-le, réparatrice.
Je regarde une dernière fois les montagnes et je leur demande clémence dans notre aventure… Prions pour qu’elle m’entende.
Jour 4 : L’épopée dans l’aventure (18km et 300D+ & 19km de packraft)
Comme le premier matin du monde
Ce matin-là n’était pas comme les autres matins. Les enjeux étaient différents, moins légers, plus importants. L’objectif de la journée était simple : finir la partie la partie de marche et pagayer le plus loin possible jusqu’au coucher du soleil. Non, ce matin n’est définitivement pas comme les autres. Il marque un départ. Depuis que nos yeux sont ouverts, nous sommes rentrés pleinement dans l’aventure, celle qui vous prend aux tripes par ses incertitudes. Pourtant, nous devons avancer envers et contre tout. Les prévisions météos ne nous en laissent pas le choix.
Il est cinq heures du matin quand nous nous extirpons des tentes. Transis, nous avalons nos lyophilisés, je lève ma kuksa vers le ciel et nous rempaquetons le plus efficacement possible. La neige a saupoudré les sommets. Une fine lueur dessine les flancs des montagnes lointaines. Le soleil a décidé de nous indiquer la destination de notre périple : la rivière Kaïtum. Je ne pense pas avoir aussi ardamment espérer arriver quelque part. En effet, la perspective de se mettre à l’eau est synonyme d’un soulagement énorme : celui des sacs. Tant attendue, la rivière soulagerait nos dos de ces sacs de pénitent et pourtant, tant redoutée, car elle pourrait mettre en péril.
La rivière Kaïtum était presque de venue un mirage… L’atteindrons-nous ? C’est par elle que notre aventure prendra sa juste dimension de découverte, là, perdu en pleine nature sauvage !
Par delà la douleur
Malgré le soleil, et les températures vivifiantes, je ne suis pas en super forme. En effet, ma fracture du trochanter s’est réveillée et m’a tenue éveillé quasi toute la nuit. De plus, le chemin, bien que splendide, est extrêmement cassant. Mes pieds, mes jambes, mes hanches irradient de douleurs. J’estime avoir un mental solide, forgé à coup de trails, de courses de montagne et d’alpinisme. Pourtant, ce sac m’aura fait souffrir le martyr à un point que je n’aurais jamais imaginé. J’ai donc du me résoudre à demander des pauses. Moi ! Des pauses ! Vous vous imaginez le truc ? Impensable. Sauf en Laponie, bien évidemment. Sylvain n’est pas mieux que moi et, heureusement pour mon orgueil, je remarque vite que ces pauses sont salvatrices pour toute la bande.
Pour la première fois en trek, je me résous à mettre mes écouteurs dans les oreilles. Je me mets du Korpiklaani dans les oreilles et je rentre dans ma bulle. La musique possède le pouvoir de nous extraire de la réalité et j’y ai trouvé le dopant parfait pour faire face aux derniers kilomètres à pied de notre aventure. La vallée est baignée d’une douce lumière oscillant entre ambiances contrastées et douceur pastel. Cela colle parfaitement avec le ton festif et enjoué de la musique folklorique finlandaise que j’ai dans les oreilles. J’en ai des frissons. Tout est tellement extraordinaire ici. Finalement, la météo, la difficulté et l’inconfort ne sont rien comparé à ces ambiances quasi indescriptibles. Je dois d’ailleurs vous avouer en perdre mon vocabulaire tant les sensations vécues le long de ce Kungsleden sont uniques et quasi intraduisibles.
L’horizon devient l’écrin de notre contemplation, le sentiers celui de notre douleur. Seul le premier n’a pas de point d’arrivée…
Rivière en vue ! Premier jour de packraft en Laponie suédoise
Cahin-caha, nous approchons de notre objectif. Au fur et à mesure que l’on descend dans la vallée, les arbres refont leur apparition. Enfin, la perspective d’abandonner nos sacs devenait de plus en plus concrète. En véritable automates, nous mettons un pieds devant l’autre sans réfléchir. La douleur, zappée. Le paysage, zappé. Le plaisir, zappé. Nous n’aspirons qu’à une chose : déposer ces maudits sacs, pénitences de nos épaules et de notre corps entier. Puis, au loin, tel un navire de naufragés errant depuis des jours en mer, nous crions en choeur : “Rivière en vue ! Rivière en vue”. Elle était là ! Devant nous, ressemblant davantage à un lac, la rivière Kaïtum tant attendue. Au bord de la rivière se trouve le dernier refuge de notre périple, le Kaïtumjaure.
Nous y sommes accueillis comme des rois par Monika, la gardienne, et son mari qui nous offrent du jus de pomme chaud. On en profite pour faire un appoint de lyophilisés et de gaz au petit magasin. Après avoir avalé notre repas, l’excitation est trop présente. On prend congé de nos hôtes, on gonfle nos packrafts et on se met à l’eau. Ici, la Kaïtum n’a de rivière que le nom tant elle est large et impressionnante. Elle doit faire 2 ou 3 kilomètres de large. Par chance, nous avons le vent avec nous. Cela nous permet d’abattre du kilomètre. La journée décline et vient projeter des rais de lumières gigantesques sur les parois de la vallée. Tandis que les éléments jouent de leur orgueil pour offrir le plus beau spectacle. Nous pagayons humblement dans l’infini de cette nature sauvage.
Le soleil peint les montagnes à grands coups de rais de lumière. La roche se déchire de tristesse, émue par la chaleur de l’astre. Elle laisse s’échapper des larmes en cascade…
Bivouac sous les aurores boréales
Rapidement, Je prends conscience que les 2-3 lacs que forment la rivière Kaïtum ne seront pas faciles à appréhender. En effet, le vent pourrait rapidement devenir notre pire ennemi. Je demande alors un peu de clémence à Njörd, dieu de la mer et du vent. Pour notre première journée de packraft en laponie suédoise, il semble nous avoir entendu. Le vent est calme et nous pousse légèrement vers notre objectif. Nous avançons à bon rythme et nous arrivons sans trop de difficultés au bout du premier lac. Les premiers 10 kilomètres sont derrière nous mais, inexorablement, le temps s’est égrainé plus vite qu’on ne l’imaginait. En effet, le soleil tend dangereusement vau de là des sommets. Le crépuscule s’impose en renforçant le vent et en faisant tomber un froid glacial. Les vagues se creusent et le vent nous gifle le visage.
La fatigue pèse encore plus lourdement sur nos épaules. Il est temps de trouver un endroit où bivouaquer. Sylvain est crevé et le froid commence à devenir dangereux. Nous devons accoster au plus vite. Je scrute le rivage mais rien. Tout est trop abrupte. Les falaises dominent. On continue de pagayer. Quand soudain, j’aperçois dans l’obscurité un promontoire. Je vais vite voir. C’est bon ! En débarquant, Gaëtan tombe à l’eau. On s’affaire. Faire le feu, monter les tentes et remplir les gourdes. Ce soir, il n’y a pas d’envolées lyriques, juste a pure survie : du chaud, du sec, du repos. Puis enfin, on se pose autour du feu pour manger et se réchauffer. Cette première journée de packraft en Laponie suédoise fut éreintante, elle se finit en spectacle stellaire : des aurores boréales. Amen.
Là perdus au milieu de la Laponie suédoise, savourant nos lyophilisés dans la frêle chaleur d’un feu courageux, nous passons de l’hypnotique danses des flammes au ballet cosmique des aurores boréales.
Jour 5 : Horizon infini (26,69 km de packraft)
Matin de feu
Ce matin-là, je suis le premier à me lever. Le froid est vif et, en sortant, la tente toute entière crisse sous le gel. Je découvre alors l’endroit choisi la veille pour planter les tentes. Il est parfait. Un peu en hauteur, nous dominons l’immense étendue d’eau formée par la rivière Kaïtum. Tout irradie de lumière et la brume persiste sur les montagnes de l’autre berge. Pour la première fois depuis le début de notre aventure, nous prenons le temps de nous poser. Assis dans les camarines, je me laisse alors envelopper par la chaleur et l’odeur de mon café. Des volutes s’échappent de la kuksa et viennent se confondre avec les nuages habillant l’horizon. J’esquisse un sourire ! Quel détail insignifiant et pourtant si précieux. Là à cet instant précis, je n’ai besoin de rien de plus.
Je ne suis pas croyant mais là bas, isolé de tous et de tout, face à tant de puissances et de beautés, il est difficile d’être nihiliste. Tant de sentiments et de sensations ne peuvent venir que d’une partition jouée par le plus fin des orchestres.
Malheureusement, les contraintes de notre aventure nous arrachent à la rêverie. En effet, aujourd’hui encore, nous devons avancer un maximum pour tenir la fenêtre météo qui s’offre à nous. Dès lors, il faut absolument attaquer les sections de rivière les plus engagées le lendemain et ainsi espérer une arrivée à Kaïtum le mardi. À 7h30, nous sommes à l’eau et ma crainte se confirme. Le vent vient du sud-est. Nous l’avons donc partiellement contre nous. Comme pour accentuer ces mauvais présages, le ciel s’est couvert en quelques instants accentuant encore le vent. Il nous faut 1 heure pour arriver au bout de ce deuxième lac. Là, j’accoste car, derrière le coude de la rivière, se cachent les premiers rapides mais impossible de les voir et d’estimer la trajectoire. Let’s go !
Le lac sans fin
Ne pouvant évaluer les rapides depuis la terre, nous nous élancerons à l’aveugle. Du Classe II, ces rapides ne devraient pas nous surprendre. Et de fait, ils nous mettent en confiance et nous donnent du baume au coeur. Quel plaisir d’avancer sans devoir pagayer ! On se laisse porter par le courant et on enchaine directement par une autre série de rapide de Classe I que l’on passe la fleur au fusil. Malheureusement, le plaisir sera de courte durée car ces quelques rapides nous ont amené directement à l’entame du dernier lac qui constitue la rivière Kaïtum. Et quel lac ! Un enfer ! Imaginez 12km de ligne droite. Un horizon qui se perd à la limite de la courbure avec la terre.
Ce dernier lac fut un véritable calvaire ! Il est interminable. Nous devons tourner la tête sur nos flancs pour prendre des repères assurant ainsi notre avancée. Fixer l’horizon devant nous aurait rendu fou n’importe quel saint d’esprit. À chaque coup de pagaie, j’ai l’impression que l’horizon ne cesse de nous fuir encore plus loin. J’en viens à psalmodier fréquemment ces quelques vers : “Les sanglots longs, des violons de l’automne, blesse mon coeur d’une langueur monotone”… J’ai l’impression d’être un galérien, les coups de fouet en moins. De temps en temps, on se retourne et les montagnes derrière nous s’éloignent petit à petit. Finalement, seule la pause de midi aura mis un peu de variété au cours de cette longue et lente journée de packraft en Laponie suédoise.
Rien n’y fait ! La monotonie de ces rivages infinis sont plus forts, les coups de pagaie scandent notre pénible progression. Nous sommes devenus les ascètes de la sempiternelle Laponie.
Crépuscule de feu
Quand nous abordons la fin du lac, la rivière prend enfin des allures de rivières et quitte ses atours gigantesques pour des proportions plus humaines (mais plus impétueuses). Nous nous arrêtons au village sami de Tjuonajokk, célèbre dans le monde entier pour être le camps de base d’un des meilleurs spots de pêche aux saumons de Scandinavie, que nous visitons. L’après-midi est déjà bien avancée. Pourtant, nous pagayons encore deux heures dans une lumière semblable à celle contemplée à l’aube. La rivière nous fait cadeau d’un courant soutenu qui soulage nos bras. Nous négocions encore quelques rapides de Classe I & II tandis que le soleil tend doucement mais surement vers l’horizon.
Les recherches pour un lieu de bivouac sont encore plus chaotiques que la veille. En effet, les berges sont remplies d’amas de pierres ou de marais qui empêchent d’établir le campement. Je perds patience. La fatigue a raison de moi. Mes camarades d’infortune prennent alors le lead et trouvent in extremis un spot pour la nuit. Nous montons les tentes, allumons un feu et espérons le retours des aurores mais la fatigue aura raison de nous. Demain, nous attaquons la journée la plus dangereuse de notre aventure avec des passages en classe III, IV, V et un portage sur la classe VI. Malgré le bonheur d’être loin de tout, j’ai peur pour demain ! Je ne m’en cache pas et c’est l’esprit peu rassuré que je gagne ma tente ce soir-là…
Pour la première fois, je ressens la peur. Pas celle de l’inconnu mais celle de ce qui nous attend, une rivière déchainée. Je n’ai jamais abordé de telles difficultés en packraft, encore moins éloigné de tout et hors réseau… Puisse mère nature veiller sur nous !
Jour 6 : Les rapides de tous les dangers (26,48km de packraft)
Réveil sur la rivière
Les deux jours qui nous attendent vont être les plus dangereux de notre expédition. La rivière Kaïtum a définitivement abandonné son calme et son immensité. Elle est désormais tortueuse, piégeuse et déchaînée. Rien qu’aujourd’hui, ce sont des rapides de Classe IV, V et VI qui nous attendent. J’ai repéré un point de secours, une minuscule cabane en bord de rivière. Par sécurité, nous devons l’atteindre. En plus de l’appréhension de la difficulté des rapides, il y a également celle de l’atteindre.
Au matin du 6e jour, tout le monde est silencieux alors que nous replions les tentes après avoir petit-déjeuné. Le stress est palpable. Nous sommes sans aucun réseau à plus de deux jours de marche du premier point de secours. Dès lors, nous n’avons absolument pas droit à l’erreur aujourd’hui. Personnellement, le poids sur mes épaules est énorme. Je guide mes camarades à travers cette rivière. Ma responsabilité est totale et la charge mentale à son paroxysme.
Les deux jours de packraft sur la rivière Kaïtum sont devant nous. Le stress est présent. L’isolement et la pression, maximale.
Le calme avant la tempête
Les prochains jours amorcent la transition vers une météo encore plus froide et instable. Alors que nous pagayons sur des eaux calmes ce matin, le ciel se bâche de plus en plus comme s’il annonçait les dangers à venir. Peu avant midi, nous arrivons à proximité de la première grosse difficulté : un Classe IV. C’est notre premier Classe IV à tous et nous l’abordons loin de tout réseau et d’aide possible. Autrement dit, nous n’avons pas droit à l’erreur. Imaginez des creux de plus d’un mètre et des courants opposés. De plus, la rivière zigzague à cet endroit provoquant des vagues latérales qui peuvent retourner le packraft à chaque instant. Je n’ai jamais été aussi stressé de ma vie en packraft.
Pourtant, pas le choix, il faut y aller. J’inspire un bon coup et m’élance. Le début se passe sans trop de difficulté puis les vagues se creusent. Derrière, ils me diront que je disparaissais littéralement dans les creux. Ils devaient donc faire dans les 1m20. S’il n’y avait que ça, cela ne serait rien. Cette rivières est traître. Les rochers sont partout aux endroits les plus vicieux qui soient. J’en évite d’ailleurs un au dernier moment à l’endroit précis où la rivière fait un “S” dans sa trajectoire. Cela se calme et cela recommence de plus belle. Je pagaie de toutes mes forces pour maintenir ma trajectoire. Ça y est ! On est au bout ! Bordel, c’était effrayant mais quel shot d’adrénaline.
Loin de tout et de tous, chaque difficulté prend une ampleur insoupçonnée et dévoile nos peurs les plus profondes. Nous n’avons jamais abordé de classe IV et, pourtant, nous nous y élançons à corps perdu. Littéralement
Bataille pour la survie
On s’arrête un peu plus loin, on écope les embarcations. Gaëtan et Fred sont détrempés. Ils se changent rapidement car il ne doit pas faire plus de 1 ou 2°c. Le reste de la journée s’annonce normalement plus calme. Enfin le pensais-je… Est-ce la fatigue ? Est-ce une erreur de ma part ? Toujours est-il que j’aborde un classe II mais suis déporté dans une belle machine à laver. Il y a un rouleau que je n’avais pas repéré qui se rabat sur mon embarcation, je me stabilise avec ma pagaie mais le débit est plus fort, je me retourne ! Directement, je ressors, je m’empare du packraft mais ma rain cover et une petite pochette contenant les cartes se fait la malle. Je crie aux autres de la rattraper ! J’accoste en tenant tant bien que mal le packraft, je suis trempé.
C’est alors que je constate que ma pagaie est cassée en deux ! Directement, je panique. Comment vais-je continuer sans pagaie. Il reste plus de 50km ? Comment peut-on être à ce point débile pour casser sa pagaie ! A ce moment précis, l’autre morceau ressurgit de l’eau comme si la rivière venait de la recraché. Je jubile et en même temps je panique. “Rattrapez-là ! Rattrapez-là”. Sylvain et Fred sont au taquet et rattrape de justesse l’infortuné morceau ! Je finis de me changer et je rejoins Sylvain qui était déjà en train de tailler du bois pour rafistoler la pagaie. Je suis un peu sous le choc, je dois bien vous l’avouer. On fixe une sorte d’attelle à la pagaie et on repart ! Le reste de la journée n’est pas finie ! Il faut encore passer le Classe V et le Classe VI.
Les erreurs se paient dans le confort de la confiance…
La cabane salvatrice
Il était prévu de passer d’office le Classe VI à pied mais on décide de passer les Classe V également à pieds. Avec ma pagaie brisée, je n’ai plus une entière maitrise et ma mésaventure m’a bien refroidi au propre comme au figuré. On a bien fait ! Ils sont effrayants ! L’après-midi se poursuit. A son tour, Gaëtan fait une mauvaise manip’ et valse dans l’eau. Même cinéma, il faut changer de vêtements et se réchauffer. Bordel, vivement que la journée finisse ! Cependant, Gaëtan n’a plus d’affaires de rechange. Le premier Classe IV l’avait déjà bien trempé et il avait déjà changé de vêtements sans moyen de faire sécher les autres. Il faut mettre les bouchées double pour atteindre la cabane. La rivière se calme enfin mais ralentit notre avancée. Il fait froid. Gaëtan grelotte ! Purée ! Où est cette fichue cabane ?
C’est après deux ou trois heures que j’aperçois enfin sa silhouette ! On est sauvé ! On accoste, on allume un feu, on se met en sous-vêtements et on fait sécher toutes nos affaires. C’est une obligation pour aborder le lendemain avec sérénité. On fait littéralement pendre toutes nos affaires dans la cabane. On a tendu de la paracorde à tous les endroits possibles pour maximiser l’espace de séchage. Elle doit faire faire dans les 15m2 mai on a essayé d’optimiser l’espace pour passer une soirée relativement “cosy” au regard de ce que nous avons connu depuis le début de notre aventure en packraft en Laponie suédoise. Comme les infortunés d’une sombre expédition, nous savourons nos tisanes et nos soupes dans une chaleur salutaire.
La nuit, bien que spartiate, fut d’un tel réconfort que la simplicité et l’étroitesse du lieu nous ont convaincu qu’il n’y avait pas besoin de plus !
Jour 7 : retour à la civilisation (25,57km de packraft)
Derniers dangers
Notre dernière journée de packraft en Laponie suédoise n’est qu’une succession de passage en Classe III et inférieurs. Mes camarades sont refroidis et souhaitent faire des portages. Je les comprends mais j’ai une revanche à prendre sur cette rivière. Du coup, je change de pagaie et m’élance dans les quelques rapides de la journée. Puis, alors que la rivière se calme, le vent se lève terriblement. Des rafales affolantes s’abattent sur nous. Heureusement, elles sont avec nous et nous poussent doucement mais surement vers le petit hameau de Kaïtum.
En fin de journée, des câbles, des chalets, la civilisation se dévoile. Nous y sommes… Ce soir, nous prendrons le train et nous pourrons célébrer notre aventure à Kiruna ! Merci Suède de m’avoir coupé du monde pendant 7 jours, j’en avais besoin, merci à la rivière Kaïtum de nous avoir mis à l’épreuve, merci météo lapone d’avoir testé nos nerfs pendant cette semaine ! 100km de marche, 100km de packraft… Coupés du monde ! Putain que c’était bon !
Accoster était un soulagement et une fierté, nous venons de finir l’aventure la plus engagée de notre vie. Pourtant, c’est avec les larmes aux yeux que nous quittons l’insouciance et l’absolue liberté de la nature sauvage.
Et au milieu, coule la rivière Kaïtum
Ce n’est qu’une gare, perdue au milieu de nulle part, un point insignifiant dans l’horizon infini. Le genre de gare qui fait la taille de votre salle de bain. Et puis il y a 4 mecs, 4 petits belges qui, jamais, n’avaient imaginés devenir un jour les explorateurs de leurs propres limites. Pourtant ce jour-là, en attendant le train vers Kiruna, nous étions devenus plus que des coéquipiers d’aventure. Nous étions devenus des amis. Malgré le silence imposé par la fatigue et les visages tirés, nous partagions le bonheur d’avoir réussi ce projet un peu fou ; celui de marcher le long du Kungsleden avec des sacs de 30kg et descendre la rivière Kaïtum en packraft dans une des zones les plus reculées d’Europe.
Cette semaine d’expédition ne fut pas toujours facile, entre le vent, le froid et l’absence de toute assistance possible le long de la rivière. Il a fallu ranger bon nombre de nos peurs et de nos craintes pour continuer à avancer ensemble vers cette gare, point final de notre aventure. Lorsque cette cahute est apparue à nos yeux, la fatigue nous a empêché de pleurer mais nous avons souri face à l’absurde. Après tant de paysages grandioses, d’immensité et de solitude, nous finissions éreintés dans une gare insignifiante, desservant le néant. Demain, nous rentrerons chez nous et personne ne chantera nos exploits. Nous serons fiers dans l’indifférence totale. Et c’est très bien ainsi ! Dans nos silences extatiques, nous serons les seuls dépositaires de ces instants extraordinaires passés là-haut dans le Nord. Finalement, l’aventure ne serait-elle pas l’épitomé de notre propre vacuité…
Soyons fiers et gardons en tête qu’il y aura toujours une gare insignifiante pour conserver les rumeurs de vos exploits. Il n’y a besoin de rien d’autre…
Vidéo “Kaïtum. Une aventure à la belge”
Production : Sentiers du Phoenix | Images : Frédéric Laurent, Sylvain Crasset, Julien Libert | Drone : Gaëtan Fisse, Julien Libert
Montage : Jérémy Janin | Avec le soutien de : Lyophilisé & Co | Cairn Outdoor
Matériel et parcours de cette expédition packraft en Laponie suédoise
Matériel
Le matériel est une donnée extrêmement importante en expédition en autonomie. En effet, c’est sur lui que peu dépendre votre survie. Dès lors, vous devez en avoir une excellente connaissance et surtout savoir comment l’utiliser. Il ne s’agit donc pas de partir avec du matériel qui n’a pas été éprouvé.
De notre côté, le matériel embarqué pour cette expédition en packraft en Laponie suédoise a été testé lors de nombreuses sorties préalables. En effet, j’ai eu l’occasion de le tester non seulement lors de mes précédents voyages en Scandinavie mais également dans le cadre de mes activités de guidage avec mon agence Cairn Outdoor.
Cependant, je tiens à préciser que le matériel listé ici est un compromis et correspondait à nos besoins et nos contraintes. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et je tiens à préciser que tout un chacun doit prendre la mesure du danger de ce type d’expédition en fonction de son expérience et de son degré d’engagement.
Randonnée
- Chaussures : Hoka One One Sky Kaha
- Pantalon : Fjällraven Vidda Pro
- Chaussettes : Chaussette de France
- Bonnet : Fjällraven Byron
- Polaire : Karpos Vertice
- Sous-couche chaude : Icebreaker Oasis LS Crewe
- Surpantalon imperméable : Cimalp Advanced
- Veste imperméable : Cimalp Advanced
- Veste isolante : Fjällraven Skogsö padded
- Sac-à-dos : Osprey Aether 100l
Bivouac
- Tente : Hilleberg Allak 2
- Sac de couchage : Valandré Shocking Blue NEO
- Matelas : Exped Ultra 5R Mummy
- Réchaud : Jetboil Flash
- Lyophilisés : Lyophilisé & Co (10% avec le code LYOPHOENIX)
Packrafts
- MRS Ponto 2.0
- Anfibio Rebel 2K
- MRS Microraft
- Pagaies : Nortik Tour Carbon et Anfibio Basic 4p
- Gilet d’aide à la flottaison : Anfibio Buoy Boy
- Casque : Cuticate Kayak
Parcours – Expédition en packraft en Laponie suédoise sur le Kungsleden et la rivière Kaïtum
Afin de préserver le milieu, les parcours sont désormais payants. Cela permet de financer le blog et de vous conscientiser à l’importance de prendre soin des chemins et infrastructures que vous empruntez ou utilisez. En effet, les parcours traversent souvent des zones sensibles et protégées.
Merci de votre compréhension
J’ai tout lu (et même zoomé sur les photos !) et à partir de l’épisode de la rivière la seule chose qui me vient en tête c’est : “mais ils sont cinglés !” XD
Belle performance bravo !
Superbe reportage, mais vraiment pour randonneurs très aguerris.
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