Le Jostedalsbreen est le plus grand glacier d’Europe continentale. Situé au centre de la Norvège, il en est un peu le coeur de glace ; le royaume des dernières légendes, celles des géants de glace, les Thurses de Givre. Ce matin de septembre 2023, nous embarquons en packraft pour découvrir l’une des plus impressionnantes facettes du glacier : un mur de glace de 40 mètres de haut plongeant à la verticale dans les eaux froides d’un lac d’altitude. Nous y passerons la nuit, pour en ressentir toute la substance et, au petit matin, nous gratterons son habit d’albâtre de nos crampons avant de repartir tels des vagabonds portés par le froid et le silence. Vous me suivez ?
La quête du silence
Le silence fait peur. Il renvoie à notre brouhaha intérieur. Il est un de ces états que la société tend à effacer. Aujourd’hui, il faut combler le vide, il faut supprimer le secret, il faut diluer la solitude et éteindre la contemplation. La société rejette ce que nous chérissons. Nous, vagabonds des étoiles, sollicitons plus ardemment les grands espaces, le mugissement du vent et la quiétude d’une étendue infinie. Cette quête d’absolu devient une raison de vivre. On abandonne les qu’en-dira-t-on et on trace une fine ligne sur des cartes, notre route, notre trajet. C’est dans ces interstices d’oubli que l’on forge nos aventures, que l’on vit !
L’aventure ne sert à rien si ce n’est à assouvir l’indicible besoin de liberté. Pas la liberté fantasmée et faussée du rien et de la nonchalance, non, la liberté brute et parfois violente qui régit et façonne la Nature.
Au coeur de la Norvège se cache ce glacier gigantesque, le Jostedalsbreen. Alors avec trois amis, nous avons mis nos packrafts à l’eau et, à travers les icebergs, nous nous sommes approchés de ce géant, immense et magnifique. Qu’allons-nous chercher là-bas ? Le néant ! Le vide, l’absence de société et le calme du lointain. Là-bas, nous n’allons chercher rien d’autre que la liberté et le silence. Cette liberté brutale fondée par la Nature qui n’a de lois que celles de la physique devient notre alpha et notre oméga. Pour paraphraser Reinhold Messner, la Nature (et la Montagne) n’est ni juste ni injuste, elle est dangereuse. Ne dit-on pas que le silence précède le danger et suit la mort ? Telle est ma quête car c’est dans ce hiatus que se trouve la vie.
Pour une lecture encore plus immersive de cet article, je te conseille d’écouter ceci :
Aventure en packraft jusqu’au Jostedalsbreen
Traversée du Styggevatnet, contre vents et marées
Ce lac m’impressionnera toujours. Du barrage, sa taille apparaît modérée, son aspect calme. Une fois sur l’eau, la perspective change drastiquement, les kilomètres s’étirent, le temps s’allonge et notre moral est mis à rude épreuve. Cela se confirme dès nos premiers coups de pagaie. Le vent est de face et préfigure une très longue traversée. Il creuse les vagues et nos packrafts chargés tanguent parfois dangereusement. Cette traversée jusqu’au Jostedalsbreen reste potentiellement dangereuse. Non seulement la température mais aussi le vent et les vagues peuvent réellement représenter un danger pour des packrafteurs non avertis. Je vous invite à prendre vos renseignements afin d’avoir un aperçu global de la météo annoncée.
Heureusement pour nous, ce jour-là, la météo est clémente. Le ciel nous offre un peu de chaleur tandis que le vent tente de nous la voler. La traversée se passe relativement bien. Néanmoins, certaines vagues latérales nous ont compliqués la tâche, nous obligeant à les attaquer de face. Vous auriez dû nous voir à cet instant précis. On ne faisait pas les malins. Plus nous nous approchions de ce mur de glace, plus nous devions zigzaguer entre les blocs de glace. Ces icebergs étaient bien plus petits que lors de ma traversée de 2018. Ils n’en restent pas moins impressionnants et fascinants.
Soirée glaciaire, muette contemplation.
Ce soir-là, il y avait une ambiance particulière. Arrivés en fin d’après-midi, nous avions pris le temps de manger nos lyophilisés et de trouver le plus beau spot pour planter notre lavvu. Le soleil était encore haut dans le ciel. Nous avons alors décidé d’explorer les environs. A 1400m d’altitude à ces latitudes, l’extrême s’impose rapidement. C’est sans compter sur cette impressionnante étendue de glace du Jostedalsbreen. De notre campement, nous percevons chaque crevasse égratignant l’albâtre. Au-dessus de l’horizon, le soleil rougeoie, il nous offre un dernier spectacle avant de tirer sa révérence. On crapahute à travers les myrtilliers et la roche, à la recherche du plus beau point de vue, de la plus belle lumière. Cette quête est vaine. Ici, tout n’est que beauté.
Le silence règne, non pas celui que nous connaissons. Non. Le silence des confins. Ce précieux trésor qui m’abasourdit à chaque fois.
On se pose alors régulièrement pour profiter de ce paysage. Et, comme toujours dans la Nature scandinave, je suis abasourdi par le silence. Ce silence est précieux. Il souligne chaque craquement, chaque vrombissement discret du glacier. Il souligne l’indicible, souligne la magnificence des lieux. Puis, alors que nous contemplons le rougeoiement automnales des myrtilliers, le silence se rompt. Un craquement résonne. Un pan du glacier s’effondre. La vie, la mort, nous sommes les humbles témoins de ce géant endormi. On échange un regard. Muets. Que voulez-vous dire face à l’expression de la nature ? Le silence est d’or, il préserve ces moments des logorrhées inutiles. Il préserve la contemplation.
Au pied du mur, une traversée houleuse
Après avoir passé une nuit aussi froide que notre environnement, il était temps d’amorcer la deuxième partie de notre aventure : marcher sur ce géant de glace. Pour ce faire, nous devons traverser le lac afin d’atteindre une zone facilitant l’accès au glacier. Nous embarquons en même temps que le vent. Le creux des vagues est encore plus marqué que la veille. Le mur de glace de 40 mètres de haut écrase nos silhouettes sur l’horizon. Là, au milieu des eaux, nos frêles esquifs ne nous rassurent pas. En effet, les packrafts sont surchargés de matériel et se plient au gré des vagues. Autant le dire tout de suite, nous sommes loin d’être dans notre zone de confort et nous prions pour que le glacier ne rejette pas de blocs de glace dans l’eau qui provoqueraient une vague scélérate potentiellement problématique.
Depuis la veille, ce glacier ne cesse de nous fasciner. Vu du haut, le glacier semble parcouru d’une infinité de rides, comme-ci cette glace n’était que la peau d’un Géant de l’aube du monde.
Heureusement, le géant de glace aura été clément pendant notre traversée. Cependant, à peine a-t-on débarqué et mis les bateaux en hauteur qu’un pan entier du glacier s’écroule. Une vague d’environ 2m se forme et balaie le rivage. L’eau submerge en quelques secondes l’endroit où nous avions accosté quelques instants auparavant, balayant tout sur son passage. D’où l’importance de toujours mettre les amarres bien plus haut que le niveau d’eau afin de ne pas se faire surprendre. Comme le vent souffle en rafales assez violentes depuis l’aurore, nous décidons non seulement d’attacher nos packrafts ensemble mais également de les lester afin de limiter les risques.
Les marcheurs blancs, au gré du géant des glaces
Le vent est glacial et, pour ne pas prendre froid, nous rejoignons le pied du glacier en vitesse. Là on s’équipe rapidement. Crampons, casques, baudriers, nous nous encordons et nous voilà en train de slalomer entre les crevasses. Ces dernières, d’un bleu intense, dessinent une série de stries comme autant de cicatrices sur la surface immaculée du glacier. Derrière nous, le ciel s’assombrit faisant ressortir encore plus l’azure du glacier en son cœur. Le notre est transpercé. Il n’y a pas de plus grand bonheur que ce sentiment de liberté, là, isolés dans ce monde de glace.
C’est ce que j’aime tant en Scandinavie. Cette possibilité d’agir en totale autonomie, pouvoir tracer sa route en pleine nature, faire le choix de tel ou tel itinéraire, de marcher sur un glacier, de pagayer sur un lac ou de bivouaquer sur ses berges. Le tout sans contrainte et, avec pour seul devoir, de respecter cette nature sauvage. L’Homme confond souvent liberté et égoïsme hédoniste. La liberté, la vraie, est de prendre n’importe quelle décision sans contrainte mais d’en assumer l’entière responsabilité. En pleine nature, il n’y a personne à blâmer. Il n’y a que vous ! Pour chaque erreur, vous serez le seul à payer.
Au cœur de la nature sauvage scandinave, on y embrasse la beauté de la pure nature et la dureté de sa responsabilité. La contemplation est absolue, l’erreur potentiellement mortelle
Langueur glacée, l’interminable retour
Il est déjà temps de reprendre nos embarcations. Le ciel se déchire. On donne les premiers coups de pagaie et, déjà, nous sommes nostalgiques de ces deux jours au royaume des Thurs de Givre. Le vent a tourné et nous fait face, encore ! A croire que ce monde de glace et de quiétude ne voulait pas de quatre contemplatifs, amoureux de grands espaces. Cette aventure n’a duré que deux jours, cette aventure est aussi simple qu’une traversée et un bivouac. Pourtant, sans lyrisme, elle nous aura marqués l’âme et le corps. Nous sommes éreintés.
Peut-être fallait-il laisser un peu de son âme dans ce royaume de glace afin d’en contempler la beauté froide et épique. Nous accostons, le corps fatigué et l’esprit ailleurs. Une part de nous restera à jamais en bordure de ce lac.
Le ciel s’obscurcit et un rideau de pluie referme l’horizon, comme la fin d’une pièce de théâtre. Notre aventure prend ainsi fin. Nous mettons pied à terre dans l’indifférence totale. Il n’y a pas de réseau ici. Personne ne sait que nous sommes ici. Personne ne sait ce que nous avons vécu. Finalement, ces quelques mots sont les seules traces ce que nous avons pu ressentir. Ils ne sont rien qu’une vaine tentative de faire revivre les émotions vécues. Pourtant, le point final de ce texte concentrera tout. Il clôturera, finira et mettra un terme aux vagues de nos actions pour imposer… le silence. Point.
Matériel de cette aventure en packraft jusqu’au Jostedalsbreen
Le matériel est toujours une affaire de compromis. Il répond à nos attentes mais dépendra des besoins de chacun. La liste que vous trouverez ici est, à mon sens, un bon point de départ si vous envisagez de réaliser cette microaventure de deux jours de packraft jusqu’au Jostedalsbreen.
Randonnée
- Chaussures : Hoka One One Sky Kaha
- Pantalon : Fjällraven Vidda Pro
- Chaussettes : Smartwool Hike Light Cushion
- Bonnet : Fjällraven Byron
- Polaire : Karpos Vertice
- Sous-couche chaude : Icebreaker Oasis LS Crewe
- Surpantalon imperméable : Cimalp Advanced
- Veste imperméable : Cimalp Advanced
- Veste isolante : Fjällraven Skogsö padded
- Sac-à-dos : Osprey Aether 100l
Bivouac
- Tente : Hilleberg Allak 2
- Sac de couchage : Valandré Shocking Blue NEO
- Réchaud : Jetboil Flash
- Lyophilisés : Lyophilisé & Co
Packrafts
- MRS Ponto 2.0
- Kokopelli Rogue R-Deck
- MRS Microraft
- Pagaies : Nortik Tour Carbon et Anfibio Basic 4p
- Gilet d’aide à la flottaison : Anfibio Buoy Boy
- Casque : Cuticate Kayak
Parcours de notre aventure en packraft jusqu’au Jostedalsbreen
PLAN IGN
PHOTOS AERIENNES / IGN
OPEN STREET MAP
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Informations techniques
Jostedalsbreen : Packraft et rando glaciaire en Norvège
Informations complémentaires
ATTENTION
Une expérience en marche glaciaire et packraft/kayak est requise pour vivre cette aventure. De plus, le matériel obligatoire sur le glacier comprend : crampons, casque, baudrier, corde et piolet.
Départ
Le départ se fait depuis le barrage retenant le Styggevatnet. Pour s’y rendre de Gaupne, il faut suivre la direction de Gjerde et du Nigardsbreen. Peu après le centre du visiteur du Parc national du Jostedalsbreen, la route se dégrade et vous emmènera vers le Styggevatnet en serpentant dans la montagne.
Parcours
En ce qui concerne la traversée du lac en Packraft ou en Kayak, elle demande un minimum d’expérience. En effet, pour ne pas perdre trop de temps, il est conseillé de traversé par deux fois le lac en diagonal pour limiter la distance. Un glacier est dangereux par nature. Cela nécessite une expérience en marche glaciaire et en lecture de parcours.
Informations sur l'auteur
Accompagné
Kayak et marche glaciaire avec IceTroll
Vous n’avez pas l’expérience ou le matériel nécessaire ? Vous avez envie de vivre cette aventure malgré tout ?
L’agence IceTroll propose des sorties sur le Styggevatnet de juin à septembre (quand la glace a fondu).
Des sorties sont possibles au printemps et à l’automne sur d’autres lacs du Parc national de Jostedalsbreen.
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